Almanach des muses 1798

Ode sur la paix

Bellone a fui pâle et sanglante ;

Français, vos droits sont reconnus !

Et la liberté triomphante

Ferme le temple de Janus.

Du haut des voûtes azurées,

La pais descend sur nos contrées,

Le front de roses couronné ;

Et dans leurs foyers solitaires,

Les sœurs, les épouses, les mères

Bénissent ce jour fortuné.


Que la haine au front inflexible

Se laisse à la fin désarmer !

Le ciel nous fit un cœur sensible ;

Mortels nous devons, nous aimer.

Tombe la nation cruelle,

Qui prenant Rome pour modèle, 

Voudrait conquérir l’univers !

Rougissant au seul nom du maître,

L’homme libre et digne de l’être,

S’avilit en donnant des fers.


Quel est le brigand fanatique,

Qui de mars vantant les fureurs,

Au sein de l’ivresse publique

Pousse d’insolente clameurs ?

Il regrette le bruit des armes ;

Il lui faut du sang et des larmes :

Le barbare en est altéré !

Quand tout sourit dans la nature,

De même en sa caverne obscure,

Siffle le reptile abhorré.

 

Guerriers dans la noble vaillance

Arrêta l’Europe en fureur,

Des mains de la reconnaissance

Recevez le prix de l’honneur.

En vain l’anarchie égaré,

De cannibales entourée,

Rêve encor de nouveaux forfaits :

Venez, phalanges intrépides ;

Je vous dénonce les perfides

Altérés du sans français.


Jour horribles de la vengeance,

Fuyez pour ne plus revenir :

De la loi règne s’avance ;

Celui des partis va finir.

Abandonnons aux Euménides

Tous ces infâmes homicides

Que réclamaient les échafauds ;

Laissons, sous le fouet des furies,

S’agiter ces armes impies,

Ces vils partisans des bourreaux.


Dociles à la voix du sage,

Chansons les plaisirs corrupteurs :

La liberté sera l’ouvrage

De ceux qui nous rendront les mœurs.

J’en crois au augure propice :

La tolérance, la justice

N’auront plus d’exil à souffrir ;

Douce paix ! sous ta loi chérie,

Des beaux-arts la tige flétrie

Plus brillante va refleurir.


Ils vont renaître pour la France

Les jours de gloire et de grandeur !

La paix ramène l’espérance,

Et l’espérance, le bonheur.

Revenez, vertus domestiques !

C’est par vous que les républiques

Marchent à l’immortalité.

Le despotisme en vain murmure :

  Par le C. Desgranges fils.

 

 

 

 

Les jarretières

Air : du vaudeville de la soirée orageuse.


Maudit soit l’auteur indiscret,

Né pour tourmenter ses confrères,

Qui me choisissant un sujet,

Me fait chanter les jarretières ! (1)

Je crains, ou de vous endormir,

Ou d’être accusé d’indécence :

N’importe ! Il faut vous obéir ;

Mais honni soit qui mal y pense !


Pour en parler plus savamment,

Me trouvant auprès de Glicère,  

Je la suppliai poliment

De me prêter sa jarretière.

En vain je priai : Je trouvai

Trop de vertu, de résistance :

Mais honni soit qui mal y pense !


Je voulus après, tendrement,

Par mes soins, calmer sa colère ;

Mais elle me dit durement :

« Je veux ravoir ma jarretière »

D’elle alors je me rapprochai ;

Et pour réparer mon offense,

Moi-même je la rattachai :

Mais honni soit qui mal y pense !


C’est ainsi qu’un traité de paix

Enfin arrangea mes affaires :  

Depuis, elle ne m’a jamais

Su refuser ses jarretières ;

C’est toujours moi qui les défais ;

Et jugez de sa confiance,

C’est toujours moi qui les remets :

Mais honni soit qui mal y pense !

   Par le C. Ségur l’aîné.

(1)

Ces couplets ont été composés pour la société de vaudeville, ainsi que plusieurs autres insérés dans ce volume. Tous les mois, les membres de cette société se réunissent à dîner. Chacun indique un sujet de chanson et ensuite on les tire au sort.


 


 

Épître aux femmes (1)

Ô femmes, c’est pour vous que j’accorde ma lyre ;

Ô femmes, c’est pour vous qu’en mon brûlant délire,

D’un usage orgueilleux, bravant les vains efforts,

Je laisse enfin ma voix exprimer mes transports.

Assez et trop longtemps la honteuse ignorance

A jusqu’en vos vieux jours prolongé votre enfance ;

Assez et trop longtemps les hommes, égarés,

Ont craint de voir en vous des censeurs éclairés ;

Les temps sont arrivés, la raison vous appelle :

Femmes, réveillez-vous, et soyez dignes d’elle.


  Si la nature a fait deux sexes différents,

Elle a changé la forme, et non les éléments.

Même loi, même erreur, même ivresse les guide ;

L’un et l’autre propose, exécute, ou décide ;

Les charges, les pouvoirs entre eux deux divisés,

Par un ordre immuable y restent balancés.

Tous deux pensent régner, et tous deux obéissent ;

Ensemble ils sont heureux, séparés ils languissent ;

Tour à tour l’un de l’autre enfin guide et soutien,

Même en se donnant tout ils ne se doivent rien.


  L’homme injuste pourtant, dédaignant ces partages,

(Hélas ! il en est plus d’injustes que de sages),

L’homme injuste, jaloux de tout assujettir,

Sous la loi du plus fort prétend nous asservir ;

Il feint, dans sa compagne et sa consolatrice,

De ne voir qu’un objet créé pour son caprice ;

Il trouve dans nos bras le bonheur qui le fuit :

Son orgueil s’en étonne, et son front en rougit.

Esclave révolté des lois de la nature,

Il ne peut, il est vrai, consommer son injure ;

Mais que, par les mépris dont il veut nous couvrir,

Il nous vend cher les droits qu’il ne peut nous ravir !

Nos talents, nos vertus, nos grâces séduisantes,

Deviennent à ses yeux des armes dégradantes

Dont nous devons chercher à nous faire un appui

Pour mériter l’honneur d’arriver jusqu’à lui ;

Il étouffe en nos cœurs le germe de la gloire ;

Il nous fait une loi de craindre la victoire ;

Pour exercer en paix un empire absolu,

Il fait de la douceur notre seule vertu…

Qu’ai-je dit, la douceur ? Ah, nos âmes sensibles

Ne lui refusent pas ces triomphes paisibles ;

Mais ce n’est pas assez pour son esprit jaloux :

C’est la soumission qu’il exige de nous…

Ingrat ! Méconnais-tu la sagesse profonde

Qui dirige en secret tous les êtres du monde ?

Méconnais-tu la main qui traça dans ton cœur

De ton amour pour nous le principe vengeur ?

Voyons-nous dans nos bois, nos vallons, nos montagnes,

Les lions furieux outrager leurs compagnes ?

Voyons-nous, dans les airs, l’aigle dominateur

De l’aigle qu’il chérit réprimer la grandeur ?

Non ; tous suivent en paix l’instinct de la nature :

L’homme seul est tyran, l’homme seul est parjure.


  Cependant le réveil des sens impérieux

Rétablit un instant l’équilibre à ses yeux ;

Le désir, le besoin, triomphent du système :

L’homme redevient homme aussitôt qu’il nous aime ;

Défenseur généreux, être sensible et bon,

Il retrouve à la fois son cœur et sa raison,

Et laissant à nos pieds le vain titre de maître,

Il obéit aux lois qu’il vient de méconnaître.

C’est là, dans les transports d’un amoureux lien,

Qu’il voit que sur nos cœurs sa force ne peut rien ;

Que notre volonté seulement nous commande ;

Que l’on obtient de nous qu’alors qu’on nous demande,

Et que la liberté dont nous nous honorons

N’est point remise aux mains que nous-mêmes enchaînons.


  Femmes, ne croyez point que ce soit tout encore.

Trop souvent ce bonheur s’éclipse à son aurore ;

Et ces droits que l’amour vous remet aujourd’hui,

Demain, malgré vos soins, s’envolent avec lui.

C’est par des traits plus sûrs qu’il faut montrer aux hommes

Tout ce que nous pouvons et tout ce que nous sommes ;

C’est à les admirer qu’on veut nous obliger ;

C’est en les imitant qu’il faut nous en venger.

Science, poésie, arts qu’ils nous interdisent

Sources de voluptés qui les immortalisent,

Venez, et faites voir à la postérité

Qu’il est aussi pour nous une immortalité !

Déjà plus d’une femme, osant braver l’envie,

Aux dangers de la gloire a consacré sa vie ;

Déjà plus d’une femme, en sa fière vertu,

Pour les droits de son sexe, ardente, a combattu.

Et d’où naîtrait en nous une crainte servile ?

Ce feu qui nous dévore est-il donc inutile ?

Le dieu qui dans nos cœurs a daigné l’allumer

Dit-il que sans paraître il doit nous consumer ?

Portons-nous sur nos fronts, écrit en traits de flamme,

L’homme doit régner seul, et soumettre la femme ?

Un ascendant secret vient-il nous avertir

Quand il faut admirer, quand il faut obéir ?...

La nature pourtant aux êtres qu’elle opprime,

Donne de leur malheur le sentiment intime :

L’agneau sent que le loup veut lui ravir le jour,

L’oiseau tombe sans force à l’aspect du vautour,

Disons-le : l’homme, enflé d’un orgueil sacrilège,

Rougit d’être égalé par celle qu’il protège ;

Pour ne trouver en nous qu’un être admirateur,

Sa voix dès le berceau nous condamne à l’erreur ;

Moins fort de ce qu’il sait que de notre ignorance,

Il croit qu’il s’agrandit de notre insuffisance,

Et, sous les vains dehors d’un respect affecté,

Il ne vénère en nous que notre nullité.

C’en est trop ; secouons des chaînes si pesantes ;

Livrons-nous aux transports de nos âmes brûlantes ;

Livrons-nous aux beaux-arts. Eh ! qui pourrait ravir

Le droit de les connaître à qui peut les sentir ?


  Écoutons cependant ce que nous dit le sage :

« Femmes, est-ce bien vous qui parlez d’esclavage ?

Vous, dont le seul regard peut nous subjuguer tous,

Vous, qui nous enchaînez tremblants à vos genoux !

Vos attraits, vos pleurs fins, vos perfides caresses,

Ne suffisent-ils pas vous rendre maîtresses ?


Eh ! Qu’avez-vous besoin de moyens superflus ?

Vous nous tyrannisez ; que vous faut-il de plus ? »

Ce qu’il nous faut de plus ? Un pouvoir légitime.

La ruse est le recours d’un être qu’on opprime.

Cessez de nous forcer à ces indignes soins ;

Laissez-nous plus de droits, et vous en perdrez moins.

Oui, sans doute, à nos pieds notre fierté vous brave,

Un tyran qu’on soumet doit devenir esclave.

Mais ce cruel moyen de nous venger, hélas !

Nous coûte bien des pleurs que vous ne voyez pas.

Il est temps que la paix, enfin, nous soit offerte,

De l’étude, des arts, la carrière est ouverte,

Hommes, nous y volons : c’est là que l’univers

Jugera si nos mains doivent porter des fers.


  Mais déjà mille voix ont blâmé notre audace ;

On s’étonne, on murmure, on s’agite, on menace ;

On veut nous arracher la plume et les pinceaux ;

Chacun a contre nous sa chanson, ses bons mots ;

L’un, ignorant et sot, vient, avec ironie,

Nous citer de Molière un vers qu’il estropie ;

L’autre, vain par système et jaloux par métier,

Dit d’un air dédaigneux : Elle a son teinturier.

De jeunes gens à peine échappés du collège

Discutent hardiment nos droits, leur privilège ;

Et les arrêts dictés par la fatuité,

La mode, l’ignorance, et la futilité,

Répétés en écho par ces juges imberbes,

Après deux ou trois jours sont passés en proverbes.

En vain l’homme de bien (car il en est toujours)

En vain l’homme de bien vient à notre secours,

Leur prouve de nos cœurs la force, le courage,

Leur montre nos lauriers conservés d’âge en âge,

Leur dit qu’on peut unir grâces, talents, vertus ;

Que Minerve était femme aussi bien que Vénus ;

Rien ne peut ramener cette foule en délire ;

L’honnête homme se tait, nous regarde et soupire.

Mais, ô dieux, qu’il soupire et qu’il gémit bien plus

Quand il voit les effets de ce cruel abus ;

Quand il voit le besoin de distraire nos âmes

Se porter, malgré nous, sur de coupables flammes !

Quand il voit ces transports que réclamaient les arts

Dans un monde pervers offenser ses regards,

Et sur un front terni la licence funeste

Remplacer les lauriers du mérite modeste !

Ah ! détournons les yeux de cet affreux tableau !

Ô femmes, reprenez la plume et le pinceau.

Laissez le moraliste, employant le sophisme,

Autoriser en vain l’effort du despotisme ;

Laissez-le, tourmentant des mots insidieux,

Dégrader notre sexe et vanter nos beaux yeux ;

Laissons l’anatomiste, aveugle en sa science,

D’une fibre avec art calculer la puissance,

Et du plus et du moins inférer sans appel

Que sa femme lui doit un respect éternel.

La nature a des droits qu’il ignore lui-même :

On ne la courbe pas sous le poids d’un système ;

Aux mains de la faiblesse elle met la valeur ;

Sur le front du superbe elle écrit la terreur ;

Et, dédaignant les mots de sexe et d’apparence,

Pèse dans sa grandeur les dons qu’elle dispense.


  Mais quel nouveau transport, quel changement soudain !

Armé du sentiment l’homme paraît enfin ;

Il nous crie : « Arrêtez, femmes, vous êtes mères !

À tout plaisir sitôt rendez-vous étrangères,

De l’étude et des arts la douce volupté

Deviendrait un larcin à la maternité. »

Ô nature, ô devoir, que c’est mal vous connaître !

L’ingrat est-il aveugle, ou bien feint-il de l’être ?

Feint-il de ne pas voir qu’en ces premiers instants

Où le ciel à nos vœux accorde des enfants,

Tout entières aux soins que leur âge réclame,

Tout ce qui n’est pas eux ne peut rien sur notre âme ?

Feint-il de ne pas voir que de nouveaux besoins

Nous imposent bientôt de plus glorieux soins,

Et que pour diriger une enfance timide

Il faut être à la fois son modèle et son guide ?

Oublieront-ils toujours, ces vains déclamateurs,

Qu’en éclairant nos yeux nous éclairons les leurs ?

Eh ! quel maître jamais vaut une mère instruite !

Sera-ce un pédagogue enflée de son mérite,

Un mercenaire avide, un triste précepteur ?

Ils auront ses talents, mais auront-ils son cœur ?

Disons tout. En criant, Femmes, vous êtes mères !

Cruels ! vous oubliez que les hommes sont pères ;

Que les charges, les soins, sont partagés entre eux,

Que le fils qui vous naît appartient à tous deux ;

Et qu’après les moments de sa première enfance

Vous devez, plus que nous, soigner son existence ?

Ah ! S’il était possible (et le fût-il jamais ?)

Qu’une mère un instant suspendît ses bienfaits,

Un cri de son enfant, dans son âme attendrie

Réveillerait bientôt a nature assoupie.

Mais l’homme, tourmenté par tant de passions,

Accablé sous le poids de ses dissensions,

Malgré lui, malgré nous, à chaque instant oublie

Qu’il doit plus que son cœur à qui lui doit la vie,

Et que d’un vain sermon les stériles éclats

Des devoirs paternels ne l’acquitteront pas.


  Insensés ! Vous voulez une femme ignorante,

Eh bien ! soit ; confondez l’épouse et la servante :

Voyez-la, mesurant les leçons sur ses goûts,

Élever ses enfants pour elle, et non pour vous ;

Voyez-les, dans un monde à les juger habile,

De leur mère porter la tâche indélébile ;

Au sage, à l’étranger, à vos meilleurs amis,

Rougissez de montrer votre femme et vos fils ;

Dans les épanchements d’un cœur sensible et tendre,

Que personne chez vous ne puisse vous comprendre ;

Traînez ailleurs vos jours et votre obscurité ;

On ne vous plaindra pas, vous l’aurez mérité.


  Regardons maintenant celui dont l’âme grande

Cherche dans sa compagne un être qui l’entende ;

Regardons-les tous deux ajouter tour à tour,

Les charmes des talents au charme de l’amour.

Qu’un tel homme est heureux au sein de sa famille !

Il veut croître aux beaux arts et son fils et sa fille ;

Écoutant la nature avant de la juger,

Il cherche à l’ennoblir, et non à l’outrager ;

Chez lui l’humanité ne connaît point d’entrave ;

L’homme n’est point tyran, la femme point esclave ;

Et le génie en paix, planant sur tous les deux,

De l’inégalité décide seul entre eux.

Ô jours trop tôt passés de mon heureuse enfance,

C’est ainsi que mon cœur sentit votre existence ;

C’est ainsi qu’en mon sein vous avez imprimé

Ces immuables droits dont mon bras s’est armé.

Un père généreux, agrandissant mon être,

M’enseigna de bonne heure à n’avoir pas de maître ;

Et du titre de femme en décorant mon front

Il m’en fit un honneur et non pas un affront.

Ô toi qui m’animas de cette pure flamme,

De ce séjour de paix où repose ton âme

Jette sur mes travaux un regard bienfaisant,

Et bénis ces transports d’un être indépendant ! (2)


  Ne croyez pas pourtant, épouses, mères, filles,

Que je veuille jeter le trouble en vos familles,

D’une ardeur de révolte embrasez vos esprits,

Et renverser des lois que moi-même je suis.

Il est des nœuds sacrés et d’honorables chaînes ;

Il est de doux plaisirs et de plus douces peines ;

Et cet échange heureux des soins de deux époux

Fait leur bien mutuel et le charme de tous.

C’est l’ordre qui m’irrite, et non pas la prière ;

C’est l’ordre que repousse une âme haute et fière ;

Mais, céder à la voix d’un généreux ami,

C’est s’obliger soi-même et jouir plus que lui.


  Ne croyez pas non plus qu’en ma verve indiscrète

J’aille crier partout : Soyez peintre ou poète.

Je sais que la nature, avare en ses bienfaits,

Nous donne rarement des talents purs et vrais ;

Mais telle que retient la critique ou l’envie

Sent au fond de son cœur le germe du génie ;

Et c’est là que mon vers, armé d’un trait vainqueur,

Veut porter, malgré tout, un transport créateur.

Et quand il se pourrait qu’à ma voix enflammée

Une autre femme en vain cherchât la renommée,

Lui doit-on pour cela d’injurieux discours ?

L’homme dans ses travaux réussit-il toujours ?

Ne vaut-il donc pas mieux d’une ardente jeunesse,

Charmer par les talents la dangereuse ivresse,

Que de la condamner au plaisir dégradant

D’inventer ou proscrire un vain ajustement ?

Oui, l’étude est pour nous un bonheur nécessaire :

On apprend à juger, si l’on apprend à faire ;

Et malheur à celui qui, pouvant s’agrandir,

Se courbe sous la main qui prétend l’asservir !

Moi-même, osant braver les dangers de la scène,

J’ai marché vers le but où ma main vous entraîne ;

Moi-même sur Sapho rappelant quelques pleurs,

J’ai suivi ses leçons et chanté ses douleurs ;

Moi-même à mes côtés j’ai vu la sombre envie

Sur mes tranquilles jours porter sa main impie…

Eh ! que font à mon sort ces êtres tortueux ?

Mon bonheur est à moi, leurs travers sont pour eux.

Que dis-je ? ils m’ont servie, et plus que des louanges.

Ces ris, ces mots piquants, ces critiques étranges,

En éclairant mes yeux sur mes propres défauts,

Retranchaient à mes torts bien plus qu’à mon repos.


  Ô femmes, qui brûlez de l’ardeur qui m’anime,

Cessez donc d’étouffer un transport légitime ;

Des hommes dédaignez l’ambitieux courroux :

Ils ne peuvent juger ce qui se passe en vous.

Qu’ils dirigent l’état, que leur bras le protège ;

Nous leur abandonnons ce noble privilège ;

Nous leur abandonnons le prix de la valeur ;

Mais les arts sont à tous ainsi que le bonheur.

Par la C. Constance Pipelet (3)

(1)

Cette épître a été lu, par l’auteur, au lycée républicain en 1798

(2)

Qu’il me soit permis d’ajouter ici quelques détails relatifs à mon père (M. de Théis). La vivacité de son esprit, l’étendue de ses connaissances, la bonté de son cœur, le rendaient cher à tout ce qui l’entourait. Il aimait les arts, et cultivait les lettres. Il chérissait surtout la poésie ; et sans doute il s’y serait fait un nom, si l’amour de la solitude ne l’avait retenu à la campagne où il a vécu et est mort en sage. Il avait fait imprimer dans sa jeunesse quelques poésies qui ont été moins connues, elles ne méritaient de l’être (Note de l’auteur)

(3)

Constance de Théis

Constance Marie de Théis, née à Nantes le 7 novembre 1767, baptisée dans la paroisse Saint-Similien, et morte le 13 avril 1845, devient par son premier mariage Pipelet de Leury, et, par son second mariage, comtesse (1803) puis princesse de Salm-Dyck (1816) ; elle est une poétesse et femme de lettres française.

(cliquez le titre)

source

 

(cliquez le titre)

recueil de citations de Constance de Théis