Chansonnier historique du XVIIIe siècle

La régence partie II


(J'ai gardé orthographe telle quelle)

 La constitution Unigenitus (1)


Or écoutez la noble histoire

De dame Constitution.

J'en veux célébrer la mémoire

Par une immortelle chanson.

 

(1) Les querelles suscitées par la bulle Unigenitus donnèrent lieu à une quantité prodigieuse de livres, brochures, pamphlets, libelles, etc., parmi lesquelles deux seulement méritent d'être cités, comme présentant un caractère d'utilitgénérale pour la question. Ce sont : X Histoire de la Constitution Unigenitiis, par le P.Lafiteau, et le Journal de la bulle Unigenitus,

par l'abbé Dorsanne.

 

La bulle Unigenitus ou Unigenitus Dei Filius est la bulle que le pape Clément XI fulmine en septembre 1713 pour dénoncer le jansénisme. Elle vise plus particulièrement l'oratorien Pasquier Quesnel et condamne comme fausses et hérétiques cent une propositions extraites des Réflexions morales, son ouvrage paru en 1692 et qui continue d'asseoir son succès.

Loin de mettre fin aux divisions de l'Église, cette bulle provoque la coalition, voire la fusion de plusieurs oppositions : gallicane, richériste et janséniste. Face au refus du parlement de Paris de l'enregistrer et aux réticences de certains évêques, Louis XIV cherche à l'imposer par la force.

L'opposition à la bulle se réveille lors de la Régence et en appelle à un concile général. Fleury qui arrive au pouvoir la fait devenir loi du royaume par le lit de justice royal du 24 mars 1730 et continue une épuration du clergé, ce qui attise les oppositions (clergé, parlement).

(Cliquez chaque titre)

Unigenitus



Le pape dit que c'est l'ouvrage

De ses infaillibles ébats,

Mais fort souvent, en mariage,

L'époux se flatte en pareil cas.

 

Non, non, son épouse mystique

Telle fille n'adoptera,

Cette œuvre est de la politique

Des dignes fils de Loyola.

 

Le fait est notoire et visible,

C'est la fille de Jouvency :

Si cet ouvrage est infaillible.

Les almanachs le sont aussi.

 

Louis vivant, les fiers tricornes

L'allaient faire passer en loi.

Et par leur puissance sans bornes,

Donner comme article de foi.

 

Tout cédait au pouvoir suprême

Placé dans leurs indignes mains :

On força le Parlement même

De souscrire à leurs noirs desseins.

 

Cette cohorte déchaînée.

Prête à verser le sang d'Abel,

La foudre en main fut arrêtée

Par un souffle de l'Éternel.

 

Louis meurt, un Régent illustre

Fait grâce au pouvoir abattu,

Et remet dans son premier lustre

Religion, lois et vertu.

 

Tout prend une face nouvelle.

Tout rit dans son auguste cour ;

Les saints exilés on rappelle,

Les peuples chantent leur retour.

 

On ne voit plus de jansénistes.

Tout uniment on est chrétien ;

S'il n'était plus de molinistes.

Après cela tout irait bien.

 

Mais taisez-vous, Muses, silence ;

Bien des prélats sont assemblés.

Paix, soumettez votre croyance

Aux points qui seront décidés.

 

De cette célèbre assemblée.

On a fait l'éloge à Paris :

Tout d'une voix, on l'a nommée

Le congrès d'Asinopolis.

 

L'Esprit Saint n'a pas pris la peine

D'inspirer leurs décisions ;

Ce sont en langue ignacienne

De probables opinions.

 

Le nonce ne perd pas de vue (1)

Le projet si bien commencé ;

Finement, il leur insinue

Le plan que Rome en a tracé.

 

S'il voit que quelque âme craintive

Balance à souscrire à ce plan,

Il lui fait voir en perspective

L'n chapeau rouge au Vatican. (2)

 

Chacun de ces prélats contemple

D'un œil jaloux Rohan, Bissy, (3)

 

(1) Cornelio Bentivoglio, archevêque de Carthage et nonce de Clément XI en France, soutint avec beaucoup de zèle la Constitution Unigenitus, pour obtenir le chapeau de cardinal, qui ne lui manqua pas. Saint-Simon l'a violemment maltraité dans ses Mémoires. Voici ce qu'il dit de lui au moment où il quitta Paris en 1719 : « Le nonce Bentivoglio, près enfin d’être cardinal et sûr de trouver sa calotte en entrant en Italie, prit congé du roi et du Régent, après avoir fait ou voulu et travaillé à faire tous les maux dont les chiens et les loups enragés peuvent être capables. Il emporta le mépris et la malédiction publique, même de ceux de son parti. Il ne fut regretté que d'une fille de l'Opéra qu'il entretenait chèrement, et dont il eut une fille qui, à son tour, monta sur le théâtre de l'Opéra, où elle a été fort connue sous le nom de la Constitution, en mémoire de son éminentissime père, qui en tout était un fou et un scélérat qui aurait mis le feu aux quatre coins de l'Europe, s'il avait cru et pu en hâter sa promotion d'un jour. »

 

(2) Le chapeau de cardinal fut en effet la récompense des partisans les plus dévoués de la bulle.

 

(3) Rohan et Bissy, les deux chefs du parti moliniste, devaient leur cardinalat au zèle qu'ils avaient montré en faveur de la bulle.

 

Flattés sur leur profane exemple

D'être un jour cardinaux aussi.

 

L'esprit plein de l'aimable idée

Du prix qu'on leur fait entrevoir,

On peut juger qu'à l'assemblée

Chacun a bien fait son devoir.

 

Quesnel, ton affaire est jugée.

Ne te plains pas de ton destin,

Si ta doctrine est condamnée :

C'est celle de saint Augustin.

 

Si, dans Milève et dans Carthage,

Jadis Pelage on condamna, (1)

C'est qu'en ce temps, ah ! quel dommage !

Les jésuites n'étaient point-là. (2)

 

(1) Pelage, hérésiarque fameux de la fin du IV* siècle, avait émis sur le péché originel, la grâce et le libre arbitre des doctrines en contradiction avec les principes fondamentaux du christianisme. Saint Augustin et saint Jérôme s'élevèrent avec énergie contre ces doctrines, et neuf conciles successifs, tenus dans l'espace de sept ans, les condamnèrent, entre autres le concile de Milève (416) et le grand concile d’Afrique réuni à Carthage (418).

 

(2) On a souvent taxé de pélagianisme la doctrine du jésuite Molina sur la concorde du libre arbitre avec la grâce et la prédestination. C'est là une assertion dépourvue de sens et de fondement, ainsi que l'a démontré Rohrbacher dans son Histoire universelle de l’Église catholique

(t. XIII, éd. Gaume, in-4").


La grande affaire est décidée,

Dieu sait comme à Rome on rira ;

Clément, sur sa chaise percée.

Est infaillible ex cathedra.

 

Sous peine des Madelonnettes, (1)

On défend très expressément

A toutes femmes et fillettes,

L'Ancien et Nouveau Testament.

 

Quoi donc, prélats, pouviez-vous croire

Ce que votre bouche dictait ?

Xous croyons tous, pour votre gloire.

Que votre cœur le démentait.

 

Vous avez fait une ordonnance

D'imprimer vos décisions,

Mais, pour votre honneur, la Régence

En défend les impressions. (2)

 

(1)Le couvent des Filles de la Madeleine ou Madelonnettes, établi dans le quartier Saint-Martin-des-Champs, était destiné à renfermer les filles publiques pénitentes. Les parents y faisaient aussi renfermer leurs filles débauchées.

 

(2) En 1715, l'assemblée du clergé de France avait con- damné le Livre des Hexaples et le Témoignage de la vérité, « avec des qualifications très fortes ; M. le Régent leur a fait dire de ne point faire imprimer ces condamnations, ni de ne les point mettre dans leurs registres ; ils ont obéi, mais ils emporteront dans leurs diocèses ces condamnations signées par les secrétaires de l'assemblée, afin qu'on ne puisse les révoquer en doute. »

(Journ.de Dangeau, 31 oct.)

 

Rendez grâce à la Providence,

Sans cet ordre plein de bonté,

On aurait vu votre ignorance

Transmise à la postérité.

 

Servez à votre fantaisie

Le saint-père, mais respectez,

En faveur de votre patrie,

Les gallicanes libertés.

 

Quand j'entends la voix de l'Église,

Mon cœur l'écoute avec respect ;

Mais, quand Clément seul verbalise.

Ce qu'il dit me paraît suspect.

 

Ce qu'il décide seul à Rome

Ne peut être article de foi ;

Quoique très saint, il n'est qu'un homme

Peut-être un pécheur comme moi.

 

S'il refuse aux prélats des bulles, (1)

Il en sera plus indigent ;

Nous ferions-nous de sots scrupules

De lui refuser notre argent ?

 

S'il veut nous contraindre de suivre

Son horrible Constitution,

 

(1) A l'instigation de Bentivoglio, Clément XI refusait l'institution canonique aux évêques et abbés nommés par le Régent, et entre autres à l'abbé de Castries, que l'on venait de créer archevêque de Tours.

 

Nous pourrions bien faire revivre

La pragmatique sanction. (1)

 

Enfin qu'est-elle devenue,

La pauvre Constitution ?

A Rome on va la mettre en mue

Pour la première occasion.

 

Comme une fille fort jolie,

Au premier jour, on la verra

Prendre la route d'Italie,

Pour aller voir son bon papa.

 

Mais de Paris partira-t-elle

Sans aller voir le Parlement ?

D'Aguesseau et l'abbé Pucelle (2)

Lui prépare un compliment.  

 

(1) La pragmatique sanction de Charles VII, rendue par ce prince à Bourges, traitait des matières fort diverses, relatives aux questions religieuses. Elle établissait entre autres principes l'infériorité de la puissance pontificale par rapport à l'autorité des conciles. C'est sans doute à cette disposition que l'on veut faire allusion ici. On a souvent cité une autre pragmatique sanction que l'on prétendait émanée de saint Louis ; mais il est aujourd'hui démontré que cet acte est absolument faux.

 

(2) En 1714, lorsque Louis XIV voulut faire enregistrer la bulle Unigenitus au parlement, d'Aguesseau encouragea les magistrats à la résistance et obtint un arrêt qui enregistrait la bulle avec des réserves telles qu'elles supprimaient tous les avantages de cette formalité. — L'abbé

 

Mais comme il faut à cette belle

Grande escorte de conducteurs,

Qu'elle emmène au moins avec elle

Tous ses fades adulateurs.