Par les membres du Caveau (1858-1861)

Almanach de la chanson...

Air: Maman, le mal que j'ai.

Peuple, chante avec moi !

Car, cette année,

La destinée

A l'œil ouvert sur toi ;

Tu seras plus heureux qu'un roi.

 

L'an merveilleux qui luit pour nous

Sera vraiment un an de grâce;

Sous son règne, nous aurons tous

Le nez rouge et la barbe grasse.

Peuple, chante, etc.

 

Janvier pour nous est sans glaçons,

Octobre apprête ses feuillettes,

Avril met au bleu ses poissons,

Juillet rôtit ses alouettes.

Peuple, chante, etc.

 

La lune que nous craignons tant

Ne sera pas rousse, mais blonde ;

Et le soleil doux et brillant

Va luire enfin pour tout le monde.

Peuple, chante, etc.

 

Qu'importe un temps froid ou pluvieux,

Le pauvre obtiendra sans réclame

Et du bois neuf et du vin vieux,

Pour s'échauffer le corps et l'âme.

Peuple, chante, etc.

 

Des orages n'ayons pas peur :

Jupiter, respectant nos treilles,

Pour ne frapper que le buveur,

A mis son tonnerre en bouteilles.

Peuple, chante, etc.

 

Réjouissons-nous le Pouvoir,

Voulant qu'à tous les jeux on gagne,

Va mettre, au lieu de savon noir,

Une échelle aux mâts de cocagne.

Peuple, chante, etc.

 

Pourquoi nous tourmenter encor ?

Mes amis, je puis vous répondre

Qu'à Pâques la poule aux œufs d'or

Pour chacun va chanter et pondre.

Peuple, chante, etc.

 

Nos jours, nos nuits vont s'embellir

Nous serons des objets d'envie !

On va dorer, on va polir

Le fil de fer de votre vie.

Peuple, chante, etc.

 

Le feu de l'enfer s'éteindra,

Nous aurons des dieux favorables,

Et notre terre deviendra

Le paradis des pauvres diables.

Peuple, chante, etc.

 

Quand le bonheur nous tend les bras,

Jetons-nous y, joyeux apôtres :

Un si bon an ne doit-il pas

Etre suivi de plusieurs autres ?

 

Peuple, chante avec moi !

Car, cette année,

La Destinée

A l'œil ouvert sur toi :

Tu seras plus heureux qu'un roi.

A. Jacquenart

 

 

 

 

Jean Houblons

Air de l’auteur des paroles

Gais amis, célébrons

Sans crainte,

Sans contrainte,

Célébrons, célébrons

Jean Houblon,

Le blond,

Célébrons, célébrons

L'ami Jean Houblon.

Sous le froid climat de la Flandre,

Jean Houblon a reçu le jour,

Son humeur est docile et tendre,

A lui nos vœux et notre amour ;

Jean Houblon gaiement dans la veine

Fait passer une aimable ardeur,

Et dans notre esprit il promène

Le doux mirage du bonheur.

Gais amis, etc.

La nature fut elle ingrate

En donnant à son frère aîné,

Jean Raisin, un teint écarlate,

Et cheveux blonds au second né ?

Non, cette mère toujours sage,

Fit un choix goûté d'Apollon,

A Jean Raisin, riant visage,

Et la douceur à Jean Houblon.

Gais amis, etc.

Enfants d'une mère commune,

Chaque frère suit son chemin,

Le premier fait grande fortune,

En est-il vraiment plus malin ?

Jean Raisin, gros propriétaire,

Craint fort de se mésallier ;

Mais Jean Houblon, le prolétaire,

Se complaît avec l'ouvrier.

Gais amis, etc.

Certes, Jean Raisin fit merveille,

Il sut embraser les guerriers ;

Et, souvent, sa liqueur vermeille,

D'un cœur fit fondre les glaciers ;

Jean Houblon n'est point en arrière

Près des belles, j'en fais serment ;

Et sa palme brille, guerrière,

Dans les annales du Flamand.

Gais amis, etc.

 

Jean  Houblon n'est jamais sévère.

Pour ses amis, pauvres humains !

Il aide à calmer leur misère

En inspirant de gais refrains ;

L'artisan, après la semaine,

De son temple prend le chemin,

Puisant la force à sa fontaine,

Pour le travail du lendemain.

Gais amis, célébrons

Sans crainte,

Sans contrainte,

Célébrons, célébrons

Jean Houblon,

Le blond,

Célébrons, célébrons

L'ami Jean Houblon.

L. Debuire (du Buc)

 

Le cabaret de cheux nous

Air de l’auteur des paroles

Au beau milieu de la grand'place,

Il ouvre ses gais volets verts,

Et présente la longue face

De ses treilles formant couverts.

Il n'a point d'enseigne éclatante ;

Mais son vaste dressoir reluit,

Son hôtesse est jeune, agaçante,

La nappe est blanche et le vin rit ;

Tout cela, par chaque ouverture,

Aux passants font des yeux si doux,

Qu'il faut entrer, je vous le jure,

Au vieux cabaret de cheux nous.

 

L'été, c'est là, sous les charmilles,

Que les gars, le jour du repos,

Viennent faire sauter les filles

Et leur tenir de doux propos ;

C'est là que la gaieté préside,

C'est là que l'on entend toujours

La chanson qui s'envole humide

Du vin qui lui donna le jour;

Et ces danses sous la verdure,

Au son des flons flons, des glouglous,

Rendent tout charmant, je vous jure,

Le vieux cabaret de cheux nous.

 

On y vient pour parler affaire,

Le vin interroge et répond,

Et, comme il est toujours sincère,

On traite franchement à fond.

Aussi, combien devant, ces tables,

Où vient s'accouder le plaisir,

Combien de procès...fort  plaidables,

Chaque dimanche a vus mourir !...

Ici madame procédure

N'a jamais eu que le dessous.

Il est arrangeant, je vous jure,

Le vieux cabaret de cheux nous.

 

Grâce à lui, plus d'un vieux ménage

A vu rebriller à son ciel,

Presque oublié sous le nuage,

Un coin de la lune de miel ;

Grâce à lui, l'on a vu le garde

Protéger, le dimanche au bal,

Une danse un peu bien gaillarde

Sous son briquet municipal.

Grâce à lui, Jean, taxé d'usure,

Aux pauvres donnent quelques sous...

Il nous fait, meilleur, je vous jure,

Le vieux cabaret de cheux nous.

 

Le cœur gros, la paupière humide,

C'est là qu'il vient, le pauvre enfant,

Quand la conscription avide

L'a touché de son doigt sanglant...

Il vient y puiser du courage

Pour quitter sans pleurer, hélas !..

Tout ce qu'il aime!... le village

Que souvent il ne revoit pas.

Puisqu'il a, pour chaque blessure

Un baume qu'il dispense à tous,

On devrait bénir, je vous jure,

Le vieux cabaret de cheux nous.

 

Malgré tout, parfois, à l'église,

Le pasteur, dans un gros sermon,

L'incrimine, et, selon sa guise,

Le voue aux griffes du démon.

Pourtant on dit... Dois-je me taire ?. .

Que certain soir le sacristain

Vient y chercher avec mystère

Du vieux cachet vert le plus fin...

Puis on ajoute qu'à la cure

Il l'emporte...Ah! le croyez-vous ?...

Il est cancanier, je vous jure,

Le vieux cabaret de cheux nous.

 

Quoiqu'il ait bien souvent, le traître !

Égaré le facteur rural,

Et qu'au maire, il ait fait commettre

Un zigzag fort peu magistral,

Quoiqu'il ait fait, pendant l'antienne,

Du chantre détonner la voix,

Et qu'enfin chacun se souvienne

Qu'il caresse, et pince à la fois,

On rit de la mésaventure

Du reste, commune pour tous,

Et l'on revient, je vous le jure,

Au vieux cabaret de cheux nous.

Mahiet de la Chesneraye

 

 

 

Le garçon épicier

Air : Faut d’la vertu, etc.

Ma foi ! c'est un joli métier

Que d'être garçon épicier.

 

Entre le sucre et la cannelle

Galichon coule d'heureux jours ;

Il vend lampions et chandelle,

D'y voir clair se piquant toujours.

Ma foi ! etc.

 

On le dit plus bête que brave,

Mais c'est à tort que l'on en rit;

Il n'a qu'à descendre à la cave

Pour en rapporter de l'esprit.

Ma foi ! etc.

 

Sa gaieté, sans aucune crainte,

Se permet plus d'un malin tour:

Aux maris, il vend de l'absinthe,

Aux femmes du parfait amour.

Ma foi ! etc.

 

Si quelque vieux rentier désire

Du vinaigre dans un cruchon,

Il ne manque jamais de dire :

C'est du vinaigre à cornichon.

Ma foi ! etc.

 

Il vend et savon et potasse

A la blanchisseuse du coin,

Papier, amidon ou mélasse

A chacun suivant son besoin,

Ma foi ! etc.

 

Achetez-vous de la moutarde ?

Au moment où vous la prenez.

Il dit de sa voix nasillarde :

Elle va vous monter au nez.

Ma foi ! etc.

 

Un poète du voisinage

Vient-il trouver notre garçon ?

Dans un feuillet de son ouvrage

Il lui met du sel à foison.

Ma foi ! etc.

 

Les pois cassés et les lentilles,

Il les débile aux pauvres gens ;

Le sucre d'orge aux jeunes filles,

Aux plus riches ses mendiants.

Ma foi ! etc.

 

Il fait manger bien du fromage

Au pédant, à l'ambitieux,

Et leur vend d'excellent cirage

Pour qu'ils brillent à tous les yeux.

Ma foi ! etc.

 

A ces caractères moroses

Qui se crispent à tout propos,

Pour rétablir l'état des choses,

II débite force pruneaux.

Ma foi ! etc.

 

A certain marchand de paroles ;

Il vend du miel en quantité;

Il vend toute espèce de colles

Au journaliste, au député.

Ma foi ! etc.

 

Cet ambitieux personnage

Espère bien, quoiqu'un peu juif,

Etre maire de son village

S'il fait fortune dans le suif.

Ma foi ! c'est un joli métier

Que d'être garçon épicier.

J. Lagarde

 

 

 

 

Les douzes mois de l’année

Air : Tous les bourgeois de Chartres

JANVIER

En Janvier nul ne bouge,

On reste au coin du feu ;

Chacun a le nez rouge,

Ou violet, ou bleu.

Les vieillards ont recours

Aux gilets de flanelle ;

Les jeunes gens, pour leurs amours,

Savent trouver quelques beaux jours

Quand il neige ou qu'il gèle.

 

FÉVRIER

Air: Pomme de Reinett’, pomme d’Apis.

Février ramène le bal,

La folie

En tous lieux nous rallie.

Pour donner dans le carnaval

Le signal

D'un galop infernal.

Chacun d'un masque

Couvre ses traits,

Et des jarrets

Gigotte comme un Basque.

Le plus fantasque

Commande ici,

A la bourrasque

Livrons-nous sans souci !

Au rendez-vous,

Moment bien doux,

L'heure pour nous

Conduit beautés légères.

Faisons les fous,

Et croyons tous

Que nos bergères

Se cachent sous

Des loups.

Février ramène, etc.

 

MARS

Air: Les anguilles et les jeunes filles.

Le carême à la face blême

Arrive toujours en ce mois ;

Il vient comme Mars en carême :

Ce sont les frères siamois !

Adieu les violons et la danse,

Laissons reposer nos mollets ;

Tout au plus, en temps d'abstinence,

On se permet les... flageolets.

 

AVRIL

Air : Ensuite bon ermite.

Les zéphyrs de la plaine

Ont chassé les autans ;

Leur caressante haleine,

Enfin ramène

Avril et le printemps.

Les plantes dégourdies

Lancent des jets nouveaux,

Et vers Pâques fleuries

Etalent leurs rameaux.

Des œufs blancs comme neige

Renferment dans leurs flancs,

Par un doux sortilège,

Mille objets ravissants.

Les zéphyrs, etc.

 

MAI

Air : Tout ça passe en même temps.

Quand vient Mai, tout s'embellit,

Flore étale sa parure ;

Le barbeau, le pissenlit,

Viennent orner la nature.

L'asperge longue et fluette,

Les petits pois verdoyants,

Les hannetons en goguette,

Tout ça pousse, tout ça pousse,

Tout ça pousse en même temps.

 

JUIN

Air du Tailleur et la fée.

Voici juin, — l'oiseau sous la charmille,

Sûr d’y trouver un abri protecteur,

Suspends le nid de sa jeune famille,

Et chante un hymne au divin Créateur.

Un ciel d'azur resplendit sur nos têtes,

La rose s'ouvre, et dans l'air embaumé

Naît le désir d'aimer et d'être aimé...

L'été partout nous convie à ses fêtes !

Voici juin ! — c'est le mois des longs jours,

Le mois charmant des fleurs et des amours !

 

Juillet

Air : De la Colonne.

Avec juillet, dans la nature entière,

Quand le soleil ramène les chaleurs

Et qu'il répand des torrents de lumière

Sur ses obscurs blasphémateurs.

De tous côtés son découvre sans peine

Les bains ouverts, les théâtres fermés :

Pour les Parisiens charmés,

Ce n'est qu'un changement de scène.

 

AOUT

Air: En vérité, je vous le dis(Béral).

Août voit un soleil de feu

Mûrir les épis dans la plaine :

De l'homme, le riche domaine

Se féconde sous l'œil de Dieu.

Alors que les gerbes nouvelles

Se formeront... Bon laboureur,

Aux pauvres, laisse des javelles

Cela te portera bonheur !

 

SEPTEMBRE

Air : Tonton, tontaine, tonton.

Voici septembre...Alerte, alerte !

Chasseurs, fouillez chaque canton,

Tonton ,tonton, tontaine, tonton.

On chasse sans tracas, sans perte,

La serviette sous le menton,

Tonton, tontaine, tonton.

 

OCTOBRE

Air : de Pilati.

Le ciel a béni la vendange

Comme il a béni la moisson,

Et les celliers, après la grange,

Vont se remplir à l'unisson.

En Octobre, dans la vinée,

Le vigneron, sur un tonneau,

Trogne rouge et jambe avinée,

Fête en chantant le vin nouveau !

 

NOVEMBRE

Air : de Julie.

N'ayez pas trop de confiance

Dans l’été de la Saint-Martin.

Lorsque Novembre recommence,

Il fait très froid le soir et le matin !

Et même pendant la journée,

Pour échapper au rhume de cerveau…

Prenez toujours voire manteau,

Ou celui de la cheminée.

 

DÉCEMBRE

Air : de la Catacoua.

Décembre arrive et clôt la marche;

Enfants, soyez sages et bons

Noël, cet ancien patriarche,

Vous apportera des bonbons.

Puis, le Réveillon, à la ronde,

Séduit de la caveau grenier,

Le chansonnier,

Le chiffonnier,

Le boutiquier,

Le banquier,

Le portier,

Bref, le bonheur de tout le monde

Fait le bonheur du charcutier.

Justin Cabassol et louis Protat

 

 

 

 

Pauvre et joyeux

Air : Elle a trahit ses serments et sa foi. (La Somnambule)

Content du lot que m'ont donné les dieux,

Point ne m'échappe une plainte importune ;

Le riche pleure, et moi je suis joyeux;

Et je ferais des vœux pour la fortune,

Moi qui reçus de la Divinité

Peu de richesse et beaucoup de gaieté !

 

Dans son landau l'opulence a frémi

Au seul aspect d'un chemin de traverse ;

Heureux, à pied, sous le bras d'un ami,

Je ne crains pas que ma voiture verse,

Moi qui reçus de la Divinité

Peu de richesse et beaucoup de gaieté !

 

Pauvre richard, mets ton or en monceau;

La soif de l'or jamais n'est assouvie !

Sans jamais être au bout de mon rouleau,

Joyeusement je dépense ma vie,

Moi qui reçus de la Divinisé

Peu de richesse et beaucoup de gaieté !

 

Le verre en main, j'avale la douleur,

Sans consulter Esculape et son livre ;

De mon bon sang et de ma bonne humeur

Je ne veux pas qu'un docteur me délivre;

Moi qui reçus de la Divinité

Peu de richesse et beaucoup de gaieté !

 

Lorsque viendra fille au gentil maintien

Sous l'humble toit du pauvre et gai trouvère,

Je lui dirai : « Partage tout mon bien :

Je n'ai, ma foi, qu'un cœur, qu'un lit, qu'un verre;

Moi qui reçus de la Divinité

Peu de richesse et beaucoup de gaieté !

Je dis à Dieu: «Mon Père, pardonnez

Les gais élans de ma philosophie.»

Je dis aux rois : « Soyez plus fortunés,

Mais plus joyeux, oh ! je vous en délie ! »

Moi qui reçus de la Divinité

Peu de richesse et beaucoup de gaieté !

 

Tel d'une table, on s'éloigne gaiement,

Tel de la vie un luron se retire.

Amis, je veux à mon dernier moment

Vous saluer par un dernier sourire,

Moi qui reçus de la Divinité

Peu de richesse et beaucoup de gaieté !

A. Jacquemart.