Chansonnier historique du XVIIIe siècle

La régence partie IV


(J'ai gardé orthographe telle quelle)


 Une métamorphose (1)


Certaix poisson fort connu dans le monde,

Vulgairement appelé maquereau,

Se fit chérir du souverain de l'onde

En lui donnant toujours plaisir nouveau,

Rare talent, pour faire tôt fortune.

Aussi fit-il la sienne promptement.

Si qu'on le vit, non sans étonnement

Prince surtout dans la cour de Neptune.

Ce dieu bientôt du soin de ses plaisirs

Le fit passer à celui des affaires ;

Tant qu'il réglait au gré de ses désirs

 

(1) Les plaisanteries du plus mauvais goût accueillirent la promotion de Dubois au cardinalat ; cette pièce en est un exemple. Elle émane du Régiment de la Calotte. Le bonhomme Barbier n'a pas voulu manquer une aussi belle occasion d'essayer une raillerie : « On a déjà dit que le pape était le meilleur cuisinier qu'il y eût ; qu'il avait fait d'un maquereau un rouget ; avant d'avoir entendu cela, j'ai dit de mon côté que le pape était bon teinturier d'avoir su mettre un maquereau en écarlate. »

 

Maints différents dans les mers étrangères.

Notre poisson s'y fit si bien valoir,

Qu'esprits malins disent que son devoir

En a souffert, et que sa politique,

Dans les traités travaillait plus pour lui.

Que pour l'honneur de l'empire aquatique.

Mais que ce soit lui-même, ou bien autrui,

Qu'il regarde, qu'importe à la critique ; 

Or, en tous lieux le bruit de son savoir,

Se répandit. Les plus grosses baleines

Furent d'avis qu'il méritait avoir

Sa récompense : et sur preuves certaines,

Fondaient leur dire. On l'a récompensé,

Voici comment tout cela s'est passé.

Aux grands honneurs, aux bienfaits, aux richesses

En sa faveur aussitôt l'on songea,

Mais il fit voir qu'il en avait déjà

Pour en revendre ; et pour toutes largesses

Il demanda, qu'on revêtît son corps

D'un seul éclat, qui manquait au dehors.

Car sa couleur devait être éclatante.

Rouge couleur lui plut donc pour sa peau.

Mais peut-on faire un rouge maquereau ?

Non, dit Neptune, et sans doute la chose

Paraîtrait monstre à nos yeux ; cependant

Pour réussir et le rendre content,

Il faut en faire une métamorphose.

Quoique je sois un des plus puissants dieux,

Seul ne le puis, point ne suis glorieux.

Et vois qu'en outre il faudra qu'on implore

 

Celui qu'au bord du Tibre l'on adore.

Courriers d'abord en prennent le chemin,

Tant et si bien que Jupiter soudain,

Soit pour complaire à son frère Neptune,

Soit qu'il craignît la séquelle importune

Des gros poissons ami d'un tel sujet.

D'un maquereau fit enfin un rouget.

Jamais Ovide et son bon père Homère,

Chacun jadis grand métamorphoseur,

Du changement que les dieux ont su faire

Ne se seraient tirés avec honneur ;

Voit-on chez eux plus subtile aventure ?

Un maquereau sans changer de nature

Devient rouget. Le miracle est nouveau,

Pourtant très vrai ; voici ce qu'on en pense :

Il est, dit-on, rouget en apparence,

Mais dans le fond toujours franc maquereau.

Or, écoutez petits et grands.

Un admirable événement,

Car l'autre jour notre Saint-Père,

Après une courte prière,

A par un miracle nouveau,

Fait un rouget d'un maquereau.

 

Pour célébrer plus dignement

Un miracle si surprenant,

 

Seigneur, écoutez ma requête,

Pour antienne dans cette fête

Préservez-nous du Requiem,

Domine, salvum fac regem.