Les grands enterrements (1892)

collection privé :

Les obsèques de Francisque Sarcey (1827-1899)


Les obsèques de Francisque Sarcey (1827-1899)

Francisque Sarcey, né à Dourdan le 8 octobre 1827 et mort à Paris le 16 mai 1899, est un critique dramatique et journaliste français.

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DISCOURS DE M. JULES LEMAÎTRE (1)

 

Il est impossible, en rendant ce dernier hommage au maître que nous pleurons, de ne pas évoquer le souvenir du grand écrivain dont l'influence agit si heureusement sur ses débuts littéraires et domina toute sa vie : je veux nommer Edmond About. Cette communion parfaite d'idées et de sentiments qui unissait les deux camarades fut plus qu'une intimité morale, ce fut presque une association d'esprit. M. Francisque Sarcey fit son talent avec les parties de son esprit dont About ne se servait pas; quand celui-ci avait levé cette rare farine dont il composait le Roi des Montagnes et Madelon, son respectueux ami recueillait la pâte qui restait pour en pétrir ses substantiels feuilletons.

Cela n'était peut-être pas de la même qualité, mais c'était de la même maison. Sarcey fut, lui aussi,

un voltairien, mais qui, dans son scepticisme universel, avait conservé une foi touchante à deux idées : il croyait à ses théories et il croyait à son rôle. 11 plaçait très haut cet emploi de censeur littéraire ; il n'admettait pas que le critique descendit des hauteurs contemplatives pour se mêler aux passions et se jeter lui-même dans la lutte, soit qu'il craignît de briser ses principes contre des faits ou de compromettre son autorité de juge dans une partie aventureuse. Je m'en aperçus bien quand je donnai le Député Leveau au Vaudeville : l'acrimonie de ses élogesme prouva alors qu'il ne me pardonnait pas cette désertion ; mon succès ne lui parut pas une raison suffisante même pour rassurer son zèle amical.

Je regrettai alors, je l'avoue, d'avoir affligé un maître aussi excellent. Mais nous autres, écrivains venus trop tard, nous n'avons pas cette certitude arrogante que nous admirions d'abord chez Sarcey comme simple phénomène de foi. Nous ne croyons plus à nos idées, encore moins à nos théories ; et nous tâtonnons humblement à la recherche de la vérité.

Notre regretté maître avait cette bonne fortune, qu'ayant réfléchi une fois dans sa jeunesse, il se croyait prémuni pour sa vie entière contre les sur-prises du doute. Telle fut la cause de cette sécurité admirable que nous envierons toujours et que nous ne rencontrerons jamais.

11 ne posséda jamais que deux ou trois idées, mais

il y crut profondément, de là son action : la force est aux croyants.

Mais cet élément de puissance se fortifiait encore d un optimisme paisible et large qui lui faisait trouver dans le succès une raison suffisante au mérite. Nous autres, qui, dans la vie ou dans les couloirs du théâtre, nous tenons un peu à l'écart, laissant passer devant nous le flot noir et pressé des barbares, les foules ingénues et violentes, nous sommes bien plutôt disposés à trouver blessantes pour notre sensation les sensations de tous. Tout au moins cherchons-nous pour cette sensation un autre point d’appui que le goût de M. Tout-le-Monde.

Loin de connaître cette défiance, Sarcey s’abandonnait avec sécurité aux jugements de la foule: il se contentait de lui expliquer à elle-même les raisons de sa propre préférence. Nul mieux que lui n’excella

à débrouiller les motifs secrets de cette psychologie complexe qui est celle d’un public. 11 a donné une

conscience à la foule : elle l’a récompensé en lui accordant la popularité. Nous ne saurions clore cette trop courte élude en disant que Sarcey fut le type même du grand critique, — du grand critique il y a 25 ans...

 

JULES LEMAÎTRE (1)

François Élie Jules Lemaître (ou Lemaitre), né le 27 avril 1853 à Vennecy (Loiret) et mort le 5 août 1914 à Tavers (Loiret), est un écrivain et critique dramatique français.

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DISCOURS DE M. JULES CLARETIE (2)

 

La première fois que je vis Sarcey, il y a vingt ans — déjà ! — c'était à Viroflay. Il me fut amené un jour par notre ami commun Émile Bergerat.

Ah ! qu'on était joyeux alors Les lilas étaient en fleurs, la • vie, légère, ne pesait pas sur nos épaules, nous la respirions avec confiance dans les émanations exquises de cette atmosphère embaumée. Après le déjeuner, nous fîmes une promenade sur la route de Meudon. Le soleil brillant et clair semblait se faire le complice de notre débauche ami¬cale. Bergerat faisait des moulinets avec sa canne, en lançant des mots d'esprit. Sarcey marchait de ce pas lourd et assuré qui était déjà une promesse, — si bien tenue depuis.

Son précoce bon sens lui avait acquis une situation dans la critique.

Bergerat, poète chevelu, nous parlait d'un jeune comédien qui venait de débuter à l'Odéon et présageait l'avenir aux jeunes il se nommait Porel. Moi, je rêvais de devenir journaliste, de donner ma part de travail et de peine à l'oeuvre sublime d'abnégation, qui est la Presse, cette gloire du dix-neuvième siècle.

Que ces temps sont lointains ! Il y a huit jours, mon convive de 1865 se trouvait dans mon cabinet directorial de la Comédie - dans ce cabinet où ont défilé tant d'illustrations contemporaines. Un peu alourdi, mais encore vert, malgré son âge, il me disait avec cette bonhomie savoureuse dont vous vous souvenez : « Pourquoi avez-vous engagé ma demoiselle Marsy pour les coquettes quand mademoiselle Nancy Martel tient si bien l'emploi? » Puis il m'entretenait du répertoire : c'était là ses dernières passions.

Au fond, c'était un tendre. Son enveloppe un peu fruste cachait une âme sensible. Quand il avait serré une fois la main d'une femme, il ne croyait plus pouvoir la frapper, même avec une fleur....

Aussi bien ce maître regretté, qui laissera parmi nous d'unanimes regrets, a-t-il conquis tous les droits au titre le plus enviable parmi ceux qu'un homme de cœur peut ambitionner : celui de sympathique.

Quelle est, en effet, la raison mystérieuse pour laquelle un homme est sympathique? c'est l'estime qu'on a de lui, et celle qu'on soupçonne qu'il a de VOUS....

 

 JULES CLARETIE (2)

Arsène Arnaud Clarétie, dit Jules Claretie ou Jules Clarétie, né le 3 décembre 1840 à Limoges et mort le 23 décembre 1913 à Paris, est un romancier, dramaturge français, également critique dramatique, historien et chroniqueur de la vie parisienne. Au cours de sa longue carrière, outre la signature Jules Claretie, il a recours à plus d'une douzaine de pseudonymes afin de publier ses œuvres littéraires et ses articles dans la presse. Il a également utilisé, avec Charles-Edmond Chojecki, le pseudonyme collectif de Jules Tibyl.

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DISCOURS DE HENRI BECQUE (3)

 

 

Appelé par la Société des auteurs dramatiques à apporter les regrets de nos confrères sur la tombe de M. Francisque Sarcey, je serai bref : Sarcey n'en¬tendit jamais rien au théâtre, mais ce fut un excellent homme. La confiance parfaite avec laquelle il riait aux facéties usées des petits théâtres indique suffi¬samment une âme candide et un coeur sans repro¬che. Il fut, en effet, le dernier Français qui ait cru au calembour , au quiproquo de concierge et à M. Alexandre Bisson.

Si le talent ne fut pas chez le critique regretté à la hauteur du caractère, il faut rendre néanmoins hommage à cette honnêteté d'esprit. Donnons donc nos regrets sincères au brave homme qui s'en va, et songeons toujours que le théâtre s'anémie, et que la fortune est au directeur qui écoutera enfin les audacieux.  

Ces discours furent écoutés dans le plus profond recueillement. Il n'y eut pas d'incidents à signaler. M. Gouzien fit signe qu'il voulait parler, mais sa voix se brisa dans sa gorge ; ses longs cheveux, retombant sur son visage, masquèrent les traces de sa douleur. MM. Noël et Stoullig, très remués eux aussi, s'écrièrent dans un unanime élan : « Ce que c'est que de nous ! » La plupart des comédiens et des comédiennes de Paris pleuraient en silence, avec cette aisance d'émotion particulière aux artistes dramatiques. Bref, ce fut une scène touchante et communicative, respectueuse des règles essentielles, telles que le Maître les avait recommandées en trente ans de feuilleton : pathétique et simple, avec quelques gros effets — et un peu de convention.

 

 

HENRI BECQUE (3)

Henry-François Becque est un dramaturge français né à Paris (3e) le 18 avril 1837 et mort à Neuilly-sur-Seine le 12 mai 1899

Considéré comme le créateur du « théâtre cruel », il est connu pour un drame réaliste grinçant, Les Corbeaux (1882), et une comédie, La Parisienne (1885).

Il est le neveu du dramaturge et librettiste Pierre-Michel Martin dit Lubize (1798-1863).

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