Les grands enterrements (1892)

collection privé :

Les obsèques de Georges Ohnet (1848-1918)


Les obsèques de Georges Ohnet (1848-1918)

Georges Ohnet, également connu sous le pseudonyme de Georges Hénot, né le 3 avril 1848 à Paris et mort le 5 mai 1918 à Paris, est un écrivain de romans populaires français. Il est le petit-fils du docteur Esprit Blanche.

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DISCOURS DE M. RENAN (1)

 

Une indisposition de mon distingué confrère M. Emile Richebourg me vaut l’honneur de représenter

la Société des gens de lettres à l’enterrement de M. Georges Olmet, ce jeune homme enlevé si prématurément à la littérature, à sa famille, à sa patrie.

C’est une tâche bien délicate pour un vieux pédagogue comme moi, qui n’est pas du tout un homme de

lettres, et M. Richebourg eût analysé avec plus de sûreté que je ne saurais faire, le mérite de notre

brillant romancier.

J’ai toujours admiré ces conteurs qui ont reçu du ciel la faculté d’imaginer des fables et de nous intéresser à des drames illusoires. Mon éminente amie madame Sand possédait ce don à un degré qui m’émerveilla toujours. Elle sut mettre dans le regard de ses petites paysannes le reflet de son ciel du Berri et même le reflet du ciel de Palaiseau; et ils montraient tous deux la même couleur, car avant d’illuminer ces yeux naïfs, ils avaient traversé l’âme de notre grand poète. C’était une bien excellente dame. Elle ne concevait pas, comme moi, le dogme de l’Incarnation. Cette petite querelle théologique fit qu’elle me bouda quelque temps. Mais M. Beulé nous ayant réconciliés, aucune difficulté ne vint plus troubler la sécurité de nos rapports et de mon admiration pour son âme distinguée.

J’ai moins pratiqué M. Georges Ohnet : à peine le rencontrai-je une fois, un soir que M. Brunetière nous

avait placés côte à côte à un dîner chez M. Buloz.

Cet homme, alors dans tout l’éclat de la popularité, désira connaître un pauvre professeur. Il me séduisit

tout de suite, car je devinai d’abord qu'il avait la foi.

C’est une bien belle qualité, messieurs. Ce n’est pas en vain que le Sage a proclamé qu’elle soulève

les montagnes. Elle communique à l’imagination un ressort nouveau : c’est une force exceptionnelle,

c’est une vertu indispensable. On ne saurait être un

grand artiste, un grand photographe, un grand épicier, sans la foi. M. Georges Ohnet est un témoignage éclatant de nette vérité. Un de mes jeunes amis, pour lequel j’ai autant de confiance qu’il professe d’admiration pour moi, écrivit un jour que les triomphes de cet auteur trouvait une raison suffisante dans

l’imbécillité de

la foule. Il avait bien tort de croire que  la médiocrité suffit à créer le succès; tr op d’exemples démentiraient M. Georges Ohnel e là sa puissance. Ses personnages portent le signe de cette sincérité. Un spirituel journaliste lui reprocha d'avoir apporté dans sa recherche des élégances morales l'esthétique de la belle jardinière ; mais mon collègue du Collège de France, M. Deschanel, ne s’est jamais habillé ailleurs, et

personne, je suppose, ne contesta jamais la recherche heureuse de sa tenue.

En somme, si M. Georges Ohnet ne parut jamais avoir une conception bien nette de l’Univers et sembla même ignorer parfois les dures servitudes de la langue, il montra dans son intimité des qualités morales

bien autrement précieuses que sont tous les talents: il fut bon. Le souci du style signale toujours une âme égoïste; elle indique une préoccupation de coquetterie, dont le principe, admirable certes chez les femmes, semble être une diminution des énergies viriles. Il n’est pas une de ces futilités qui vaille le royaume des cieux.

Notre malheureux confrère, qui l’avait bien compris, y tient en ce moment la palme qu’il a si justement gagnée.

 

 

DISCOURS DE M. NAQUET (2)

L’absence de notre ami M. Millevoye, retenu auprès du Czar par de graves intérêts, me confère

l’honneur de porter la parole en celte solennité où j’entends affirmer de tous côtés que les lettres sont

en deuil. Croyez bien, messieurs, que j’y prends une grande part, à cause surtout du regretté Serge Panine. Ce Russe naturalisé, en effet, fut un de nos meilleurs candidats à l’époque déjà lointaine du boulangisme. Si M. Cavaignac, plus connu à la Chambre sous le nom du "Maître de Forges" ,le battit, cet opportuniste n’obtint ce résultat qu’en faisant appel aux plus mauvaises passions anticléricales. Le prince Panine, après une vie brillante qui révéla assurément certains écarts regrettables, fut toujours un défenseur zélé de la démocratie et de la religion.

Je l’avais rencontré à un dîner chez un vénérable ecclésiastique de mes amis; il me séduisit tout de suite.

C’est lui qui, le premier, me parla, dans les termes les plus sympathiques de son historiographe,

M. Georges Olinet, et me persuada de le lire.

Je vous avouerai, messieurs, que j’admire beaucoup le roman, tout en comprenant peu ce genre. Je n’ai essayé qu’une fois d’organiser ma vie selon les procédés du romancier; je n’y réussis guère: c’est que le roman vit d’invention et que je suis surtout un logicien.

J’ai toujours tenu à appuyer mes systèmes, et même mes erreurs, sur des syllogismes solides. Quand je parus inconséquent, cette faute fut uniquement imputable à un excès de logique. Aussi admirai-je toujours très vivement ces écrivains qui, sans aucune autre raison déterminante ou extérieure, imaginent à plaisir des difficultés domestiques et des drames sociaux et les font mouvoir avec aisance dans le cadre d’une fiction.

Assurément ces histoires hypothétiques paraîtraient vaines à beaucoup de sociologues. Je m’associerais volontiers, pour ma part, à cette sévérité, en ce qui concerne les romans populaires. J’essayai une fois de lire un feuilleton de M. Émile Richebourg dans le Petit Journal : je m’étais imposé cette tâche

pour faciliter mes entretiens avec les femmes de mes agents électoraux et me donner une contenance chez les concierges influents. Je fus frappé d'apprendre combien ces aventures arbitraires étaiant en contradiction permanente avec la grande loi de l'évolution.

Si magistralement formulée par Darwin et Herbert Spencer.Le défaut de logique éclate à chaque ligne.

Contrairement à ces artistes d’une si prodigieuse fantaisie, M. Georges Ohnet s’appliqua avec une volonté incessante à systématiser. Il faut lui savoir gré de cet effort. Sans doute ses classifications paraîtront arbitraires à un esprit réfléchi. Pour lui, un duc était maigre et sec, avec une sorte de froideur insolente; un marquis honnête et franc, doué d’une bonne fortune patrimoniale; un comte grassouillet, mais concentré, d’une politesse expansive et universelle; un baron, sceptique et obèse, avec des dessous de jovialité polissonne. Le premier était pauvre et canaille, généralement célibataire, avec beaucoup d’honneur sur un reste d’honnêteté ; le deuxième bonhomme et « à son aise », marié et fidèle à une femme charmante, sortie de la haute industrie ; le troisième brillait régulièrement par une fortune insolente; généralement cocu, et fort goûté au foyer de la danse. Je ne connais pas très bien le monde aristocratique; cependant, aux cours de ma vie républicaine, j’ai pu connaître quelques réactionnaires. Ces courtes expériences me permettent de croire que M. Georges Ohnet n’a pas vérifié assez strictement la base scientifique de sa théorie. M. le baron de Mackau est gros, mai s'il n’est pas sceptique; M. le duc de la Rochefoucault, mon distingué collègue, dont chacun  connaît la cordialité, entrerait plus malaisément encore, tant par ses facultés intellectuelles que par ses proportions physiques, dans la classification un peu étroite établie par notre éminent romancier. Ces petites réserves n’atténuent en rien d’ailleurs enthousiasme que je professe pour ce beau talent.

Les romans de M. Georges Ohnet me paraissent vraiment admirables. Dans nos commissions parlementaires, il nous est rarement donné de lire des rapports rédigés d’une plume aussi facile.

 

 

DISCOURS DE M. CHARLES CHINCHOLLE (3)

L’émotion de l’orateur, autant que le bruit des sanglots provoqués par l’éloquence entraînante de M. Naquet, empêche d’entendre le discours de notre confrère, dont les quelques mots suivants arrivent seuls à nos oreilles...

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... Oui, ami, tu eus l’âme d’un martyr, car tu n’as pas craint le ridicule... Puis ce fut le défilé traditionnel, et toujours le même. M. Gouzien paraissait tellement ému que le

maître des cérémonies s’adressa à lui comme au père du défunt; MM. Noël et Sloullig, ces frères Lionnet qui ne se ressemblent pas, s’écrièrent une fois de plus, dans un même élan : « Ce que c’est que de nous ! »

M. Ollendorff se jeta dans les bras de Victor Koning, qui le reçut froidement. Enfin, M. Chincholle, serrant avec effusion la main des deux frères Lionnet, qui n’avaient jamais autant brillé à aucun enterrement, leur dit d’une voix affaiblie : — Il me semble que c’est quelque chose de moi qu’on enterre aujourd’hui !

(cliquez sur chaque titre)

M. RENAN (1)           M. NAQUET (2)             M. CHARLES CHINCHOLLE (3)