Ganier Hector

Il se fit une spécialité de rajeunir et d'arranger les vieilles chansons de province ; traita également l'actualité politique. Il prit la direction artistique de plusieurs caveaux montmartrois, humbles satellites du Chat Noir. Il obtint un grand succès avec quelques-unes de ses productions, dont les Frères de Citeaux. Quand il mourut, en 1888, il était directeur du caveau de la Gauloise.

Pour une belle

A gente damoiselle

Toujours suis à rêver :

Quand l'étoile étincelle,

Le jour, dès mon lever.

Ah ! pour une belle

Qu'il fait bon rêver !

 

Mais la farouche belle

Ne veut pas me chérir ;

Pour fléchir la cruelle

Que lui faut-il offrir ?

Ah ! pour une belle

Qu'il fait bon souffrir !

 

Je donnerais pour elle

Mon pigeon messager,

Avec ma tourterelle,

Et mon chien de berger.

Ah ! pour une belle

Qu'il fait bon gager !

 

Pour un doux regard d'elle

Je deviendrais martyr,

Sans que jamais mon zèle

Puisse se ralentir.

Ah ! pour une belle

Qu'il fait bon pâtir !

 

Pour un sourire d'elle

Je me ferais damner,

Dût la joie éternelle

De moi se détourner.

Ah ! pour une belle

Qu'il fait bon donner !

 

Sur sa lèvre jumelle

Si j'arrive à quérir

Un brûlant baiser d'elle,

Je consens à périr.

Ah I pour une belle

Qu'il fait bon mourir !

 

A la Sainte-Chapelle

Je veux m'agenouiller :

« Sainte Vierge immortelle,

« Daigne la conseiller ! »

Ah 1pour une belle

Qu'il fait bon prier !


Gasta

De son véritable nom Gaston Galempois. Mort fou à l'asile de Vaucluse en septembre 1900. Encore tout jeune homme, Gasta se produisit au caveau des Roches-Noires en compagnie de Joyeux et de Jean Varney. Il fut de la fondation du Casino des concierges, dont il s'absenta quelque temps pour prendre la gérance du sous-sol de la Ville-Japonaise; puis, revenu à Montmartre, il suivit Maxime Lisbonne au Jockey-Club de Montmartre et au Ministère des contributions Indirectes. En 1900, on le chargèrent des représentations montmartroises à la Grande Roue de Paris. C'est là qu'il fut frappé par le terrible mal qui devait l'emporter quelques semaines plus tard, à l'âge de trente ans. Chansonnier adroit et fécond, Gasta s'appliquait spécialement à peindre les mœurs du monde interlope. Il choisissait ses types dans les lieux de plaisir ou les « maisons de société » et les flagellait avec cruauté, recourant sans vergogne au mot cru, à l'expression ordurière. Il était sans pitié pour les tares et ridiculisait parfois le malheur avec une inconscience qui, pour l'observateur, était, l’indice certain de sa fin misérable.

Première communion

C'était la première’communion

De la fille de la patronne.

Le soir, brillante réception

Au bordel. Près de la matrone,

Les filles, viande pas fraîche,

Les macq'reaux mangeant et buvant,

Et la sous-mattress'l'air revêche,

Trouvant le dîner embêtant.

L'ingénu' présidant la fête,

Regardait de ses yeux vicieux

Un vieux cochon qui, d'un air bête,

Avait des gestes malicieux.

Pourquoi ? C'est le propriétaire

De cette pâl' virginité.

Aujourd'hui, il doit satisfaire

Son sal' besoin en liberté.

Au fait, cette gosse est un' femme.

Ne vient-ell' pas de communier ?

Dès à présent c'est une dame,

Personne ne peut le nier !

Les verr's s'emplissent de Champagne;

Les femm's goual'nt de sales refrains ;

Bref, c'est un pays de Cocagne,

Vrai république de putains.

Enfin, la patronne se lève

Et débite ce boniment :

« —Ma fille, au travail je crève !

Remplac' ta mère, mon enfant :

Que vas-tu faire ? Tu es jeune !

Ta sœur, ton frère à leur façon

S'occup'nt ! Un r'mèd' contre le jeûne

Est d'savoir gagner du pognon.

Allons ! ne fais pas la bégueule !

Sois franche, vite réponds-moi !

T'es gironde! T'as un' bell' gueule !

Que feras-tu de tes dix doigts ? »

La goss' prenant un air candide,

Se lève et répond lentement :

« J'suis assez bath, j'ai pas un' ride,

Eh ben! j'mass'rai : c'est amusant !

J'vous l'jure, au turbin j'suis pas flegme !

J'perds mon innocence aujourd'hui ;

La préfectur’ m'donn'ra un' brème ;

Voilà c'que j'veux gagner c'te nuit ! »

La macqu'rell' dit :—«T'es bien gentille,

C'est tout c'que j'attendais de toi ;

Le vieux est là, monte avec moi ! »

.... Et la mère embrassa sa fille....