Épître
Pour le premier jour de l’an
Lorsque Janus chez les Romains
Ouvrait les portes de l’année,
Des Augustes & des divins
En présageaient la destinée ; (1)
Au palais de ses bienfaiteurs
Du peuple la foule entraînée
Implorait les Dieux protecteurs.
Aux vœux qu’on faisait pour Auguste,
On en mêlait pour mécénats ;
De fleurs on décorait leur buste,
& l’encens brûlait sur leur pas ;
Les sujets, dans ces jours de fêtes,
Du prince devenait l’égal,
& le même bandeau royal
Semblait ceindre la même tête.
Le jour de l’an Horace était
Chez l’heureux époux d’Octavie,
& le peintre de Lavinia
Au lever d’Auguste assistait ;
Tous les beaux esprits d’Italie.
(1) Est-ce la destinée de Janus, celle des Romains, ou celle de l’année, la destinée d’une année ne se dit point.
Les chantaient tous deux à la fois
Le seul Ovide était, je crois,
A la toilette de Julie.
A vingt ans, l’amour séducteur
Peut bien faire sue l’on oublie
& le ministre & l’empereur,
Pour une maîtresse jolie :
Mais cette douce & tendre erreur
A trente ans est une folie.
Si quelque autre petit génie
Chez Mécénats se présentait
Pour complaisance il écoutait (2)
Ses vers froids & sans harmonie.
Ce Mécénat, votre confrère,
Comme vous, aimait les beaux arts ;
La gloire à son cœur était chère ;
Le trône auguste des Césars
Lui dus sa splendeur passagère :
D’un trône plus auguste encor,
Vous êtes le Dieu tutélaire,
& vous devez du siècle d’or
Nous réaliser la chimère.
Puissiez-vous présider longtemps
A la grandeur de ces empires
& puisse-je dans quarante ans,
Vous chantez encor sur ma lyre !
En formant de souhaits si doux,
(2) Est-ce le petit génie ou Mécénat qui écoutait ?
Si cher à mon âme attendrie,
Seigneur, je n’en fais pas pour vous :
Je n’en fais que pour ma patrie.
Par M. Legier
Cette épître agréable semble faite exprès pour le commencement de ce recueil. L es productions de M. Legier ont déjà contribué à embellir celui de l’année dernière.
Épître à mon médecin sur le régime
Docteur, avez-vous résolu
De prendre un ami pour victime ?
D’un ton poliment absolu,
Vous me commandez le régime :
Le régime, à moi, juste ciel !
Cet ordre est un peu plus dur à suivre ;
Tout médecin est donc cruel,
Lors même qu’il nous laisse vivre ! (1)
Mais qui dis-je ? Si pour guérir,
Je dois contrister ma jeunesse,
Me brouiller avec plaisirs,
& redoutant jusqu’au désir,
Avec respect voir ma maîtresse ;
Voir les roses sans les cueillir ;
Ah ! Vivre ainsi pour la sagesse,
Est-ce donc vivre ? C’est mourir.
Permet qu’à mon tour je te blâme.
Quoi, dormir la nuit tristement,
Comme un mari près de la femme !
(1) Plaisanterie neuve contre les médecins : ce qui est assez rare depuis Molière.
Quoi ! Poète, convive, amant,
Dormir ! À mon age ! Comment ?
Le sommeil est la mort de l’âme.
Cependant s’il faut déroger,
& dormir comme un automate,
Écoute, moderne Hippocrate,
Avec toi je puis m’arranger.
Le jour on voit tant de misère,
De protégés, de protecteurs,
Des flots flattés, de flots flatteurs,
De petit Crésus éphémères,
Des rats aux petits airs de cour,
De petits valets mercenaires !...
Docteur, je dormirai le jour.
Ce qui te coûte une parole
Me coûte à moi mille regrats ;
Ilo faut, dis-tu, que désormais,
Tandis que la faim me désole
A la table de nos gourmets,
Je ne juge des meilleurs mets
Que par l’odeur : le jolie rôle !
Il faut, qu’étalant sa gaieté,
Son teint fleuri, son opulence,
Monsieur l’abbé toujours fêté,
Décide en maître à mon coté
Sur les vins d’Espagne ou de France,
&, me prêchant fort l’abstinence,
Les boive encore à ma santé.
Par respect pour la médecine,
Il faut enfin voir de beaux yeux;
Teint de rose, piquante mine,
Disons plus : il faut voir Corine,
Lui plaire…& trembler d'être heureux
C’est-là le coup qui m'assassine.
Barbare ! Ôte-moi donc mes sens,
Ces sens qui portent dans mon âme
Des désirs toujours renaissants,
Des plaisirs toujours ravissants ;
Fais que la beauté qui m'enflamme
Cesse enfin de remplir mon coeur ;
Sa voix, cet organe enchanteur,
Qui peint quelquefois l'amour tendre
& quelquefois l’amour boudeur,
Que je ne puisse plus; l'entendre;
Que je ne puisse dans ma main
En palpitant, serrer la sienne,
Fixer ma bouche sur son sein,
Sur fa bouche fixer la mienne. (2)
On a de tout temps établi
Que nous n'avons (3) qu’une seule âme ;
Contre ce dogme je réclame ;
Moi j'en ai cinq, & les voici :
Une aux oreilles pour Racine,
Ou pour ce Rameau si divin ;
Une pour la rose & le thym,
(2) Ma bouche… sa bouche…. la mienne. Il y a un peu d’embarras dans: cette construction.
(3) Que nous n’ayons…. ne faudrait-il point dire : que nous n’avions ?
Ou pour l'haleine de Corinne ;
Une sans doute à chaque main,
Celle-là pour Corine encore ;
Une au palais pour le bon vin ;
& dans les yeux une autre en afin,
Pour tout un sexe que j'adore.
Mes âmes font tout mon bonheur ;
Ah ! Je ne veux en perdre aucune.
Au lieu de m'en priver, Docteur ;
Si tu pouvais m'en donner une ! (4)
Tu ne sais pas à quels tourments
Ta funeste amitié me livre.
Laisse là pour quelques instants
Paris, ton deuil & tes mourants :
Allons en Perse ; ose me suivre
Dans un sérail. Dieux ! Quel essaim
De jeunes & belles captives,
Voluptueuses, tendres, vives,
Au corps d’albâtre, au plus beau sein :
Plusieurs sur des sophas penchées,
Sortant du lit, entrant au bain,
Quelques-unes demi couchées !
Que ne sommes-nous des sultans ?
Mais vois-tu ces Eunuques blancs,
Noirs, olivâtres, effrayant ?
Infortunés ! Comme ils gémissent !
Près du plaisir, ils ne l'ont pas ;
Ils touchent des yeux (5) tant d'appas ;
(4) Tirade très agréable. Le dernier vers est de la finesse la plus agréable.
(5) Ils touchent des yeux. Métaphore hasardées.
Hélas ! & jamais ne jouissent
Voilà pourtant le fort heureux
Auquel tu voudras, ce me semble,
Me condamner. Docteur affreux, (6)
Achève, achève & si tu veux
Me forcer à vivre comme eux,
Bourreau, fais que je leur ressemble.
Mets (7) au régime, tu le peux,
Mets au régime, à plus d'un titre,
Ce Prélat jeune, mais goûteux,
Qui va, sortant de son Chapitre,
Fut un sopha poser sa mitre,
& catéchisme avec ferveur
Une beauté très peu Chrétienne
Qui, distraite sur son bonheur,
Voit jouer sa petite chienne
Avec la Croix de Monseigneur.
Au régime encore, au régime ;
Ce Duc, ce vieillard de vingt ans ;
Le moins renommé des amants,
Indigne à jamais de l'estime
De toute femme à sereinement.
Un régime bien plus sévère
À ce jeune objet né pour plaire ;
Qui, trop caressé des amours,
Se livre à leur douceur perfide ;
(6) Docteur affreux et femmes ont mis des Épithètes outrées trop à la mode.
(7) Mets, &c ac. Il est fâcheux que ce mets se confonde avec mais à la prononciation.
& de voluptés trop avides ;
Flétrit la fleur de ses beaux jours
Deux mots enfin sur tes tablettes
Pour un Docteur frais & vermeil,
Admis à l'instant du rêve,
Admis à l'heure des toilettes.
On me le gâte, on le chérit ;
De telle femme qu'il guérit
La reconnaissance est extrême ;
& du régime qu'il prescrit,
Il a, je crois, besoin lui-même.
Mais quel soupçon vient m'alarmer ?
Je t'ai fait connaître Corine ;
Voir ma Corine, c'est l'aimer ;
Ta main sur cette main divine
Erra longtemps ; j'en fus jaloux
& je fus près de te le dire ;
Je te vis lui tâter le pouls,
Je te vis même lui sourire.
Depuis ce jour, j'ai remarqué
Que tu viens me parler sans cesse
& d'air natal & de sagesse (8)
Traître, te voilà démarqué :
Adieu, je cours chez ma Maîtresse.
Par M. Barthe
(8) Cesse & sagesse, rime peu exacte.