Almanach des muses 1783

Le repentir
Muse : Halte-là ! j’adjure l’épigramme.
Ne peux-tu donc m’inspirer d’autres chants ?
Comme un forçat j’ai langui sur ma rame :
Qu’ai-je gagné ? la haine des méchants.
 
Si d’un pédant je peins le lourd mérite,
Damon se croit désigné dans mes vers.
Que je persifle un rimeur hypocrite,
Cléon me lance un regard de travers.
 
D’un mot plaisant, si je force à se faire
Ces plats grimauds, toujours si contents d’eux,
Qui vont traînant leur honte héréditaire,
D’amis soutient qu’un sot et lui font d’eux.
 
Chantons plutôt la candeur, sa science,
La modestie avec tous ses attraits ;
Et ces messieurs, du moins en conscience,
ne croiront plus qu’on fasse leurs portraits.
Par M. Masson de Morvilliers
 
 
 

Madrical
Le vieillard de Téos, ce chantre aimé des Cieux,
Qui fait jusqu’aux bord de sa tombe,
Mener les ris, les grâces et le jeux,
De Vénus, autrefois, obtint une colombe
Pour prix de ses accords heureux.
Thémire à ses essais garde un plus doux salaire ;
Sa bouche m’a promis un baiser amoureux.
Pardonne, aveugle enfant, si je suis trop sincère ;
Je céderais pour ce don précieux
Tous les oiseaux des bosquets de Cythère,
Tous les présents de ta brillante mère,
Et toutes les faveurs de tous les autres dieux.
Par M. Sautereau de Bellevaud
 
 
 

Moralité
Vous ressemblez aux hirondelles,
Amis du siècle où nous vivons :
Les beaux jours, près de nous,
vous retiennent comme Elle ;
Mais en retour des aquilons,
Vous vous envolez infidèles.
Par M.l’abbé Dourneau
 
 
 

Bijou trouvé
En un endroit, je ne dira pas où.
Jeune beauté, du moins je le soupçonne,
A, certain soir, perdu… certain bijou.
Je plains beaucoup le petite personne :
Elle a perdu son plus bel ornement.
Que faire ? Hélas ! que dire sa maman ?
Seule, à l’écart, elle pleure, soupire.
Combien de gens qui ne seront qu’en rire
Et qui diront : « Bon ! regrets superflus !
Ce bijou-là ne se retrouve plus » !
Or, à coup sûr, ils vont crier merveille ;
Car ce bijou se trouve dans ma main ;
Ce bijou n’est… qu’une boucle d’oreille,
Je l’ai trouvée hier en mon chemin,
Et je promets la rendre dés demain
A qui pourra me montrer la pareille.
Mais par avance, et de peur d’embarras,
De mon salaire il faut que je convienne ;
Car en ce monde il est bien des ingrats.
J’exige donc que la personne vienne
chercher sa boucle, et pour tout intérêt,
Donne un baiser ; c’est être bien modeste !
en supposant, cela s’entend de reste.
Qu’elle soit jeune, aimable, qui plus est !
Et du voyage, et de la récompense.
Par M. Collin