Chansonnier historique du XVIIIe siècle

La régence partie IV


(J'ai gardé orthographe telle quelle)


 L'allégresse publique


Vive le roi ! (1)

Vive le roi notre espérance,

Vive le roi !

Remettons-nous de notre effroi,

 

(1) « Paris a appris avec une joie incroyable la bonne santé du roi. Il ne se peut rien ajouter aux démonstrations de joie qui ont paru dans tous les états et toutes les conditions. Les prières, le Te Deum, les feux, les illuminations, les danses, les chants, les cavalcades, les fêtes bourgeoises et populaires, en un mot tout ce que l'on peut imaginer de plaisirs excessifs en ce genre, ont occupé tout Paris pendant plusieurs jours. Les poissonnières ont porté au Louvre un esturgeon de huit pieds de long, les bouchers un bœuf et un mouton ; chacun a porté son offrande, qui plus, qui moins, et les rues ont retenti jour et nuit du cri de : Vive le roi! On allait danser dans le Palais-Royal, et boire à la santé du roi, et, en se battant la fesse, on disait : Et voila pour le Régent. Le petit peuple se faisait un roi et le promenait dans Paris. Les grands ont fait des dépenses prodigieuses en feux, fusées volantes et artifices, et on a vu à l'hôtel de Mailly, au bout du Pont-Royal, une illumination magnifique et d'un goût nouveau. » (Journal de Marais.)

 

Louis est en convalescence,

Chantons tous en réjouissance

Vive le roi !

 

Le peuple français en alarmes (1)

Tremblait pour lui, tremblait pour soi.

Les plaisirs succèdent aux alarmes ;

Il vit, ce prince plein de charmes.

 

Grands et petits, chacun s'empresse,

De marquer son amour, sa foi ;

Tous lui témoignent leur tendresse,

Tous disent dans leur allégresse :

 

L'on n'entend plus que ce langage.

Partout on chante, on danse, on boit ;

Feux joyeux partout sont d'usage,

C'est à qui criera davantage :

 

(1) « Tant qu'il avait été en danger, on avait cru que la France y était elle-même, et il régnait partout un morne silence. Dès qu'il fut rétabli, la joie fut aussi vive que la crainte l'avait été. On oublia ses propres misères pour se réjouir du bonheur commun de la nation. »

(Mém. de la Régence).

 

Vivons sous son obéissance,

Qu'il nous donne à jamais la loi ;

Il remplira notre espérance.

Vive le destin de la France !

 

Offrons-lui nos cœurs en hommage,

Ils lui sont tous acquis de droit ;

En vertus il croît comme en âge,

Des rois il sera le plus sage.

 

Que son empire soit durable !

Quel bonheur d'être sous ses lois !

Pourrions-nous trouver son semblable,

Vive à jamais ce prince aimable !

 

Vive le roi !

Prions le ciel qu'il s'intéresse

 

Pour notre roi.

Qu'il nous conserve Villeroy,

Fréjus (1) et la maman duchesse, (2)

Qu'avec eux nous disions sans cesse :

Vive le roi !

 

Morgué, Piarrot, j'ons bonne chance.

Notre bon roi se porte mieux ;

 

(1)  André-Hercule de Fleury, ancien évêque de Fréjus, précepteur de Louis XV.

 

(1) Mme deVentadour, gouvernante des enfants de France.

 

J'en avons le cœur si joyeux,

Que j'en crions avec outrance :

Vive le roi ! vive le roi !

Et monseigneur de Villeroy. (1)

 

Son gouverneur, sa gouvernante,

Quoiqu'ils soyont de vieilles gens,

Valont mieux qu'autres de quinze ans ;

Ils sont cause que chacun chante.

 

(1) L'enthousiasme du public pour le jeune roi, son gouverneur, sa gouvernante et son précepteur, contrastait singulièrement avec l'aversion dont le Régent était l'objet à ce moment même. « On a remarqué un fait, dit Barbier : au moment du Te Deum, M. le Régent arriva dans un carrosse magnifique ; il entra dans Notre-Dame sans que le peuple ait soufflé. M. le maréchal de Villeroy arriva ; on cria dans les rues et dans l'église pendant un quart d'heure : Vive le roi ! Mme de Ventadour arriva ; on fit le même train et en sortant de même. Cette indisposition générale et universelle de tout le peuple, comme s'il s'était donné le mot, doit avoir chagriné le Régent. » Marais et

Buvat constatent aussi cette indifférence significative, dont Duclos apprécie très nettement la portée : « Ce que nous avons vu en 1744, dit-il, lorsque le roi fut dans un si grand danger à Metz, ne donne qu'une faible idée de ce qui était arrivé en pareille circonstance en 1721. Témoin de ces deux événements, j'ai vu en 1744 tout ce que l'amour du Français peut inspirer ; mais, en 1721, Jes coeurs, en ressentant l'amour le plus tendre, étaient de plus animés d'une passion opposée et très vive, d'une haine générale contre le Régent, qu'on craignait d'avoir pour maître. Toutes les églises, où pendant cinq jours on n'avait entendu que des cris de douleur, retentissaient de Te Beum; on n'adressait point de prières au ciel qui ne fussent autant contre le Régent que pour le roi. »

 

Si je tenais sa gouvernante,

Sangué ! que je la baiserais ;

Un beau garçon je lui ferais

Qui chanterait comme je chante.

 

Noutre minagère Colette,

Aime itou ce bon gouverneur,

Elle voudrait, dit-elle, à cette heure

Être par lui tenue seulette.

 

Palsangué ! point de jalousie,

Je le voudrais de tout mon cœur ;

S'il lui faisait un tel honneur.

Je chanterais toute ma vie.

 

Notre curé vient de sa grâce

Faire chanter le Tidion ; (1)

A présent, plus gai qu'un pinson,

Il danse et chante à my la place.

 

(1) Le 4 août, le roi écrivit au cardinal de Noailles pour faire chanter un Te Deum en actions de grâce de sa convalescence : « Je viens de recevoir une nouvelle marque de la protection de Dieu dans la maladie courte mais dangereuse dont sa providence m'a tiré. J'ai senti dans cette occasion et son pouvoir et sa bonté : l'un et l'autre m'engagent à lui témoigner ma soumission et ma reconnaissance. C'est par d'humbles actions de grâce que je dois m'acquitter de ces justes devoirs et des tendres témoignages que j'ai reçus de l'amour de mes sujets, m'assurant qu'ils seconderont avec zèle mes sentiments ; je vous fais cette lettre, etc. »

 

Le fiscal est un bon ivrogne,

Qui fait préparer un repas, (1)

Où seront Jean, Biaise et Lucas,

Chantant en rougissant leur trogne.

 

Le magister de ce village,

Plus amoureux qu'un jeune chat,

Prend Margot, quitte son rabat,

Pour chanter seul dans ce bocage.

 

Ce soir, j'allons faire tapage,

Et je boirons comme des trous.

Je sauterons comme des fous

En chantant par tout le village.

 

Chaque berger et sa bergère,

S'en allant prendre leurs ébats.

Et sans mener tant de fracas.

Pourront chanter sur la fougère.

 

J'allons faire des feux de joie.

Tout à l'entour j'y danserons,

Et pour boire dépenserons

Le peu que j'avons de monnoie.

 

(1) « On ne voyait que danses et repas dans les rues ; les bourgeois faisaient servir leur souper à leurs portes, et invitaient les passants à y prendre place. Tout Paris semblait chaque jour donner un repas de famille. Ce spectacle dura plus de deux mois, par la beauté de la saison, la longue sérénité du temps, et ne finit que par les froids de l'arrière-saison. »

(Duclos.)

 

En récompense, notre sire

De bon œil nous regardera,

Et d'impôts nous soulagera,

Quand bien saura que j'ons su dire.

 

Prions la divine puissance

De conserver ce roi charmant

Et qu'il soit le soulagement

Du pauvre peuple de la France.

Vive le roi ! vive le roi !

Et monseigneur de Villeroy !