Chansonnier historique du XVIIIe siècle

La régence partie I


(J'ai gardé orthographe telle quelle)

Les adieux de Louis XIV


Enfin Louis le Grand est mort, 

La Parque a fait un noble effort, 

Oh reguingué ! oh Ion lan là ! 

Elle vient de trancher sa vie. 

Toute l'Europe en est ravie. 


Sentant son heure s'approcher. 

Les grands il envoya chercher. 

Puis après, sans cérémonie, 

Dit ces mots à la compagnie : 


Je vais rejoindre mes parents, 

Oui m'attendent depuis longtemps. 

Je voudrais avant ce voyage 

Détruire ici leur héritage. 


Adieu, reine de Maintenon, 

Autrefois veuve de Scarron, 

Vos conseils et votre prudence 

Mériteraient bien la régence. 


Recevez mes embrassements. 

Dauphin, mais dans fort peu de temps 

Je vous attends sur le rivage ; 

Philippe aura soin du voyage (1) 


Adieu, mon neveu d'Orléans, 

Vous avez de si grands talents 

Pour succéder à ma couronne 

Que déjà je vous l'abandonne. 


Pardonnez-moi, ma belle-sœur ; (2)

Vous avez encor sur le cœur 


(1)  La malveillance publique avait accusé Philippe d'Orléans d'avoir empoisonné le duc de Bourgogne et sa femme, et le croyait capable d'en user de même à l'égard du jeune Louis XV, pour s'emparer de la couronne. Ces suppositions injurieuses ne résistent pas à l'examen impartial des faits. 


(2) Élisabeth Charlotte d'Orléans, seconde femme de Monsieur et mère du Régent. Elle ne voulait pas du mariage de son fils avec Melle de Blois, fille illégitime de Louis XIV et de Mme de Montespan, et, lorsqu'elle apprit que le futur Régent, endoctriné par Dubois, se laissait marier sans mot dire, elle lui appliqua un vigoureux soufflet, M. G. Brunet a publié deux volumes des lettres de cette princesse qui nous présentent un tableau peu flatté de la cour du grand roi. 


D'une bâtarde l'alliance ; 

N'est-elle pas du sang de France ? 


Adieu, duchesse de Berry, (1)

Il vous faudrait un bon mari 

Pour soutenir votre dépense ; 

Prenez parti dans la finance. 


Adieu, nouveaux princes du sang (2)

Que je fis à la Montespan ; 

Mais étais-je seul à les faire ? 

N'auriez-vous point eu plus d'un père ? 


Trois dauphins vous ont éprouvés, 

Pour votre gloire est-ce assez. 

Sinon voici le quatrième ; 

Agissez avec lui de môme. 


(1) Marie-Louise Élisabeth d’Orléans, fille cadette du Régent célèbre par les désordres de sa vie, était veuve de Charles de France, duc de Berry, troisième fils du grand 

Dauphin. Lors de la mort du duc arrivée en 1714, Louis XIV paya les cinq cent mille livres de dettes que les deux époux avaient contractées depuis leur mariage. 


(2) Les bâtards de Louis XIV et de Mme de Montespan avaient été légitimés dès 1673, et mis au rang des princes du sang en 1714. 


Tâchez de conserver le nom, 

Le glorieux nom de Bourbon. 

Prenez garde qu'un téméraire 

De d'Antin ne vous fasse frères. (1)

Pour vous j'ai renversé les lois ; 

C'est le privilège des rois. 

J'en jouissais en assurance 

Plus qu'aucun autre roi de France. 


Et pour vous, prince de Condé, (2)

Vous n'êtes qu'un prince hasardé, 

Henri Quatre, mon cher grand-père, 

Connaissait bien tout ce mystère. 


Vous, bossu prince de Conti, (3)

Du même endroit êtes sorti. 

Admirez la haute naissance 

De ces princes du sang de France. 


(1) Louis de Pardaillan de Gondrin, premier duc d'Antin (1665-1736), seul enfant légitime de Mme de Montespan, se trouvait être le demi-frère des bâtards légitimés. Sa mère, devenue maîtresse de Louis XIV, ne voulut rien faire pour lui, mais l'habileté de courtisan qu'il déploya toujours lui permit d'arriver aux plus hautes fonctions de l'État. 


(2) Louis-Henri de Bourbon (1692-1740), que l'on appela monsieur le Duc. Le chef de la branche des Condé, Louis de Bourbon, était frère d'Antoine de Bourbon, père de 

Henri IV. 


(3) Louis-Armand de Bourbon (1695-1727), devenu prince de Conti en 1709, à la mort de son père. 


Adieu, docile parlement, 

A qui j'ai donné fort souvent, 

Pour récompenser ses suffrages, 

Tant d'augmentation de gages. 


J'aurais mal fait pour mes projets 

De faire pendre Desmarets. 

Mon neveu, ne vous en défaites 

Tant qu'il restera quelques dettes. 


Dévot clergé, prélats François 

Soyez toujours soumis aux rois. 

Aux dépens de vos consciences ; 

Vous en aurez la récompense. 


Très sainte Constitution, 

Que je crois sans restriction. 

Je ne sais pourtant qui l'a faite 

Du pape ou du diable en cachette. 


Adieu, jansénisme maudit. (1)

Desmarets, qu'on fasse un édit 

Pour en purger toute la terre ; 

Je vais le porter à saint Pierre. 


(1)  « On avait tellement fait peur au roi de l'enfer, qu'il croyait que tous ceux qui n'avaient pas été instruits par les jésuites étaient damnés, et qu'il craignait d'être damné en les fréquentant. Quand on voulait perdre quelqu'un, il suffisait de dire : Il est huguenot ou janséniste, alors son affaire était faite. »

(Lettres de la duchesse d'Orléans, princesse Palatine.) 


Père Tellier, ne craignez rien. 

Je vous le dis, tout ira bien. 

Votre doctrine est trop commode 

Pour n'être pas toujours de mode. 


Je meurs, je vas en paradis, 

Vous me l'avez toujours promis. 

Oh reguingué! oh Ion lan là! 

Saint Ignace (1) est en sentinelle. 

Je l'entends et vois qu'il m'appelle. 


Quel prodige surnaturel 

En ces lieux va paraître ? 

Que vois-je ? l'homme immortel 

Qui veut cesser de l'être. 

Tremblez, ô peuple de Sion ! 

La faridondaine, la faridondon, 

Plus d'un malheur je vous prédis, biribi, 

A la façon de Barbari, mon ami. 


La mort se présente à ses yeux 

Sous une autre couronne. 

Je le vois qui fait ses adieux 

A sa toute mignonne. 

Je meurs, dit-il, c'est pour raison ! 

Vous serez reine à Saint-Denis. 


(1). Ignace de Loyola, fondateur de l'institut des Jésuites. 


Il se tourne vers le Dauphin 

Et lui tient ce langage : 

Mignon, je vous laisse à la fin 

Un charmant héritage ; 

Profitez-en, car il est bon, 

Depuis la paix tout y fleurit. 


Ensuite il parle à son neveu 

Et lui dit ce qu'il pense : 

Je meurs content, puisque dans peu 

Vous aurez la régence. 

Mon testament vous en fait don, 

Mon dernier codicille aussi. (1) 


Tellier, sans se faire appeler, 

S'en approche avec zèle. 

Si vous voulez, dit-il, aller 

A la gloire éternelle, 


(1)  Le testament de Louis XIV instituait, un Conseil de régence pour régler toutes les affaires de l'État ; le duc d'Orléans en avait la présidence, mais ne pouvait seul et de sa propre autorité prendre aucune décision ; deux bâtards légitimés, le duc du Maine et le comte de Toulouse, figuraient dans ce conseil. La garde et éducation de 

Louis XV étaient spécialement confiés au duc du Maine, qui avait sous ses ordres tous les officiers de la maison du roi. Le premier codicille de Louis XIV donnait au duc de Villeroy le commandement des troupes de la maison du roi jusqu'à l'établissement définitif de la régence ; le second nommait l'abbé Fleury précepteur et le P. Le Tellier confesseur de Louis XV 


Laissez-moi la commission 

De remplir vos devoirs ici. 


Le roi répond : je le veux bien,

Nommez aux bénéfices, 

Je vous connais homme de bien 

Sans fraude et sans malices. 

Ah ! sire, que vous êtes bon, 

Dit le confesseur attendri. 


Voyant toute la cour en pleurs, 

Il parle et la console, 

Adieu pour toujours, je me meurs, 

Car je perds la parole. 

Alors se tait le grand Bourbon, 

Laissant bien à penser de lui.


Français, préparez- vous au deuil. 

Je le vois, il expire. 

Il entre enfin dans le cercueil 

En héros qu'on admire. 

Plongez-vous dans l'affliction. 

Puisque vous perdez tout en lui. 


Je vois Philippe au Parlement 

Demander la régence. (1)


(1)  « Le 2 septembre 1715, M. le duc d'Orléans a demandé au Parlement la régence qui lui appartenait par le droit de sa naissance ; il a dit que le roi la lui avait accordée dans les derniers jours de sa maladie, et qu'il lui avait dit qu'elle lui appartenait d'autant plus qu'il était l'héritier de la couronne si le jeune roi venait à mourir. » 

(Journal de Mathieu Marais.) 


Dût-il y paraître charmant, 

Il n'aura rien, je pense, 

Car, suivant ma prédiction, 

Le testament sera suivi. (1)


Peuples, courez voir, en pleurant ; 

L'homme de Diogène ; 

La mort, en son char triomphant, 

A Saint-Denis l'emmène. 

Que de filles se souviendront, (2)

D'avoir vu son convoi de nuit ! 


Hélas ! fallait-il qu'il mourût, 

Ce prince tant aimable ? 

Son zèle pour notre salut 

Était inconcevable. 


(1) Le chansonnier ne fut point prophète, et sa prédiction ne se réalisa pas ; le parlement cassa le testament de Louis XIV et déféra la régence pleine et entière à 

Philippe d'Orléans. 


(2) La mort de Louis XIV causa peu de regrets à la cour, et le peuple de Paris témoigna une joie scandaleuse. 

« Le jour où son corps fut porté à Saint-Denis, dit Duclos, i'affluence fut prodigieuse dans la plaine. On y vendait toutes sortes de mets et de rafraîchissements. 

On voyait, de toutes parts, le peuple danser, chanter, boire, se livrer à une joie scandaleuse ; et plusieurs eurent l'indignité de vomir des injures en voyant passer le char qui renfermait le corps. » 


Avec la Constitution 

Il nous menait en paradis. 


Sa sagesse et son équité 

Brilleront dans l'histoire. 

Par lui le mérite exalté 

En publiera la gloire ; 

Et du Pérou jusqu'au Japon 

On ne parlera que de lui. 


Si vous êtes chargés d'impôts, 

Il n'en était point cause. 

Il désirait votre repos, 

Pouvait-il autre chose ? 

Vous lui faisiez compassion, 

Il songeait plus à vous qu'à lui. 


Vous alliez vivre très heureux 

Dans une paix profonde. 

Son ardeur à combler vos vœux 

L'aurait rendue féconde. 

C'était là son ambition ; 

Mais voilà votre espoir détruit. 


Il eût, sensible à vos besoins, 

Fait régner l'abondance. 

Il eût rétabli par ses soins 

Bientôt la confiance. 

Il y travaillait tout de bon, 


La faridondaine, la faridondon, 

Avec Desmarets et Bercy (1), biribi, 

A la façon de Barbari, mon ami. 


(1) « Bercy, gendre de Desmarets, avait été sous lui intendant des finances; il avait eu toute sa confiance et conséquemment la principale autorité dans ce ministère. Il faut avouer qu'il la méritait par son esprit et sa capacité. »