(J'ai gardé orthographe telle quelle)
Les derniers moments de Louis XIV
Or apprenez, peuple français,
La mort du plus grand de nos rois,
Oh reguingué ! oh Ion lan là !
Je vais conter la manière
Dont il a fini sa carrière.
D'un mal très dangereux atteint
Il appela son médecin ; (1)
Mais las ! pour ce pauvre monarque
Mieux eût valu mander la Parque.
Cet Esope malencontreux,
Cet Esculape monstrueux,
Pour conserver si chère tête,
Fit assembler mainte autre bête.
(1) Fagon, premier médecin du roi. Saint-Simon le rend responsable de la mort de Louis XIV, dont il ne vit point l’état, et qu'il s'obstina à soigner contrairement à son tempérament.
De leur homicide sabbat
Patience est le résultat.
Cependant du malheureux sire
Le mal à chaque instant empire.
Sentant donc son mal aggraver,
Sa conscience il veut laver ;
Et pour la nettoyer bien vite
L'humble Le Tellier le visite.
Sire, dit-il, premièrement
Ne devez-vous rien ? — Non vraiment.
Desmarets, qui bien me seconde, (1)
Dit qu'il a payé tout le monde.
Des amours de la Montespan (2)
Mon cœur, mais en vain, se repent ;
Toujours, malgré sa repentance.
Je sens remords de conscience.
Rassurez-vous, dit le Docteur,
Cela n'est rien sur mon honneur ;
(1) Nicolas Desmarets (1650-1721), fut nommé contrôleur général des finances en 1708. « Zélé, laborieux, intelligent, dit Voltaire, il ne put réparer les maux de la guerre. »
(2) Françoise Athénaïs de Rochechouart-Mortemart, femme de Louis de Gondrin, marquis de Montespan, dame d'honneur de la reine, et maîtresse du roi (1641-1707). Elle eut de Louis XIV huit enfants, dont deux moururent au berceau.
Ne l'avez-vous pas bien payée ? —
Oui. — La faute est donc pardonnée.
Mais, dit le roi, pour Maintenon,
Dois-je l'épouser tout de bon ? — (1)
Non certes, répondit le Père,
Jamais vous ne la fîtes mère. —
Donnez-moi l'absolution ? —
Ah ! de la Constitution,
Dit le faux saint, rendez-moi maître.
Et ce prélat (2) envoyez paître ;
Sans cela point de paradis.
Et, de par Dieu, je vous le dis,
Sire, pour une bagatelle.
Ne perdez la gloire éternelle. —
Hé bien, reprit le grand Bourbon,
Soit, mon père, j'y consens donc.
Taillez, rognez ; à votre zèle
Je remets la sainte querelle.
Aux bénéfices même encor (3)
Vous nommerez après ma mort ;
(1) Des témoignages autorisés permettent de croire qu'un mariage secret unit Louis XIV et Mme de Maintenon ; mais il n'a subsisté de ce fait aucune preuve matérielle.
(2) Le cardinal de Noailles, alors exilé, et dont Louis XIV avait demandé le rappel, pendant sa maladie.
(3) La feuille des bénéfices ecclésiastiques était administrée par Le Tellier, qui présentait à la nomination royale les candidats aux bénéfices vacants. « Il exclut autant qu'il lui fut possible, nous dit Saint-Simon, tout homme connu et de nom, et ne voulut que des va-nu-pieds et des valets à tout faire, gens obscurs, à mille lieues d'obtenir ce qu'on leur donnait, et qui se dévouaient sans réserve aux volontés du confesseur. »
Donnez-les à votre ordinaire
A gens d'une vie exemplaire.
Lors harangua d'un soin égal
Tous les princes du sang royal,
Même le Dauphin en personne,
Et Maintenon la toute bonne.
Je meurs, dit-il, car tout prend fin.
Vous prince, parlant au Dauphin, (1)
Vivez, imitez votre père.
Régnez en paix, jamais en guerre.
Vous, monsieur le duc d'Orléans, (2)
Pour mon fils régentez céans ;
Desmarets je vous recommande,
Homme de probité très grande.
(1) Louis XV, alors âgé de cinq ans, héritier du trône par la mort de son aïeul, le grand Dauphin, et de son père, le duc de Bourgogne.
(2) Philippe d'Orléans (1674-1723). Louis XIV lui laissait par son testament la régence, pendant la minorité de Louis XV, mais avec de telles restrictions qu'elle devenait purement nominale. Le parlement réuni en lit de justice cassa le testament du feu roi, et accorda au Régent le pouvoir royal tout entier.
Et vous, cher objet de mes vœux,
Je vous fais mes derniers adieux ;
Louis vous regrette, mignonne,
Bien plus qu'il ne fait sa couronne.
Vous tous, princes petits et grands.
Soyez unis en tous les temps.
Vous êtes tous parents, je pense ;
Vivez en bonne intelligence. —
A temps se tut le potentat.
Ayant si bien réglé l'état
Qu'on dirait, vu son indigence,
Qu'en ce jour il a pris naissance.
Deux ou trois jours après cela
Un empirique le traita ; (1)
Mais que l'heure ou non soit venue.
Comme bourreau, médecin tue.
Or voilà notre bon roi mort !
Priez donc pour lui Dieu bien fort.
Qu'il lui fasse miséricorde.
Et place à son âme il accorde.
(1) « Un empirique de Marseille, nommé Lebrun, se présenta avec un élixir qu'il annonçait comme un remède sur contre la gangrène, qui faisait beaucoup de progrès à la jambe du roi. Les médecins n'espérant plus rien de son état, lui laissèrent prendre quelques gouttes de cet élixir qui parut le ranimer ; mais il retomba bientôt. » (Duclos, mémoires secrets.)
Mais priez-le aussi, d'un grand cœur,
Qu'au médecin, au confesseur
Il donne pour leur récompense
Dedans l'enfer pleine indulgence.
Toujours cependant sous son nom
L'on publie édits sans façon,
Oh reguingué ! oh Ion lan là !
Mais s'il n'en avait rendu d'autres.
Il serait au rang des apôtres.