(J'ai gardé orthographe telle quelle)
Les présages de la religion (1)
Assis près d'un ruisseau qui, bordé de cyprès,
Joignait un bruit lugubre à mes tristes regrets,
Je pleurais nos malheurs, et ne trouvais de charmes
Qu'au plaisir que l'on goûte à répandre des larmes.
O ciel ! jusques à quand nos jours infortunés
A de plus tristes jours seront-ils enchaînés ?
Hélas ! si jeune encor, un roi qui te révère,
A-t-il pu mériter les coups de ta colère ?
Précieux rejeton du sang de tant de rois,
N'a-t-il donc vu le jour que pour perdre à la fois
Et sa mère, et son roi, son aïeul et son père,
(1) Sur le parfait rétablissement de la santé du roi. (M.)
Et lui-même en mourant nous combler de misère !
Orphelin sur le trône, il se voit condamné
A périr au moment que tu l'as couronné.
Ses charmes, sa douceur, ses vertus, son enfance,
Sont-ils donc devenus des objets de vengeance ?
Hélas ! que bien en vain comptant sur tes bontés
Nous fondions notre espoir sur ses prospérités !
Son air, sa majesté, tout en lui nous rappelle
Le roi qui si longtemps fut des rois le modèle.
Mais triste souvenir ! plus il en a les traits.
Plus sa perte à nos cœurs va causer de regrets.
Ah ! plutôt de nos jours reçois le sacrifice,
S'il ne peut qu'à ce prix désarmer ta justice ;
Trop heureux de mourir, nous nous offrons à toi,
Frappe sur les sujets, et sauve au moins le roi.
A ces mots, la tristesse augmentant ses atteintes.
Mes pleurs en disaient plus que ma voix par ses plaintes ;
Quand la Religion paraissant dans les airs
A mes tristes regards fait briller mille éclairs.
J'admirais ce spectacle, et mon âme acharnée
D'un céleste transport se sentait animée ;
Alors d'un air serein tournant sur moi les yeux :
Allez, dit-elle, allez rendre grâces aux cieux ;
Du roi que j'ai formé dès la plus tendre enfance.
J'ai consacré les jours au bonheur de la France.
A peine de sa vie il commença le cours,
Que de la Piété j'implorai le secours ;
Elle vint sous les traits d'une illustre mortelle, (1)
(1) Mme de Ventadour. (M.)
Et pour lui chaque instant renouvela son zèle ;
Occupée à sa garde, elle sent tour à tour,
Et la crainte, et l'espoir, et la joie, et l'amour ;
La mère pour son fils a bien moins de tendresse ;
Et comme elle à ses jours ma gloire m'intéresse,
Aux horreurs du trépas je l'enlève aujourd'hui.
Et soutiens tout l'État chancelant avec lui.
Sur ce soleil naissant j'ai souffert ce nuage.
Et de votre bonheur j'en tire le présage.
Il a vu par vos pleurs jusqu'où va votre amour.
Il sait jusqu'où pour vous doit aller son retour.
Mais après le danger, quand la crainte est bannie,
Tous semblent avec lui reprendre une autre vie ;
Et par leur allégresse il apprend encor mieux.
Comme ils vivent pour lui, qu'il doit régner pour eux.
Peuples, vous n'aurez plus au ciel de vœux à faire.
Il vous rend en Louis moins un maître qu'un père.
Le docte et saint prélat qui l'instruit de mes droits (1)
Dont j'anime le cœur, et j'emprunte la voix,
Et qui formant le prince achève mon ouvrage,
D'un heureux avenir peut seul être le gage ;
Sur lui, sur ses conseils, on doit s'en assurer,
Le prince dans ses pas ne saurait s'égarer.
Déjà du plus saint roi retraçant les exemples.
Il n'aspire après lui qu'à l'honneur de mes temples,
Et, portant sur le trône et son nom et sa foi,
Il fonde comme lui sa grandeur sur ma loi.
Avec la même ardeur je saurai le défendre,
(1) Mgr l’évêque de Fréjus. (M.)
Et l'orner de l'éclat qu'il a soin de me rendre.
Rappelez-vous ce jour, où proche du trépas
Son bisaïeul mourant le prit entre ses bras,
Et le cœur embrasé d'une céleste flamme,
Lui transmit son esprit en rendant sa grande âme.
Régnez, dit-il, mon fils, égalez vos aïeux,
Et soyez, s'il se peut, plus saint et plus grand qu'eux
Que la religion soit toujours votre guide ;
Si la paix avec elle à vos conseils préside,
Mes vœux sont accomplis ; je laisse à mes sujets
Un roi qui des bons rois aura seul tous les traits.
Il dit, et de ses bras l'enfant que je retire,
M'est offert par ce roi qui dans les miens expire.
Alors pour cet enfant redoublant mon ardeur,
Je règle son esprit, je lui forme le cœur ;
Pour seconder mes soins un conducteur fidèle (1)
Fait veiller l'équité, la prudence, le zèle.
Et toutes les vertus que son père autrefois
Consultait pour former le plus grand de nos rois.
Sous les yeux de ce guide il marche en assurance.
Le vice loin de lui fait place à l'innocence,
Dans sa noble carrière il apprend à dompter
Ce que peut craindre un roi, ce qui peut l'arrêter.
Déjà des séducteurs il perce l'artifice
Et des lâches flatteurs démasque l'injustice :
L'indomptable fierté qui des rois est l'écueil,
Auprès de sa douceur vient briser son orgueil.
Le triomphe des cœurs seul a pour lui des charmes,
(1) M. de Villeroy. (M.)
Et la seule bonté lui met en main ses armes.
S'il permet à sa cour les plaisirs et les jeux,
Le seul amour du peuple y paraît avec eux ;
Quoi qu'il fasse, il ne met l'honneur du diadème
Qu'en l'art d'aimer son peuple et d'être aimé de même.
Mais de son règne heureux si des voisins jaloux
Par une injuste guerre irritaient son courroux,
Je vois à ses côtés un prince de sa race, (1)
Des héros ses aïeux le mener sur la trace,
Et d'un roi pacifique en faire un conquérant.
Le nom seul de Bourbon lui promet un haut rang.
Cependant le héros qui, lui servant de père, (2)
De son pouvoir suprême est seul dépositaire,
Qui fait naître la paix du milieu des combats.
Et calme l'univers en calmant ses États :
Philippe de son roi fera mettre la gloire
A donner aux vaincus la paix par la victoire,
Et montrer à son peuple en lui son bisaïeul
Qui seul contre l'Europe en sut triompher seul.
Et malgré les lauriers qui couvrirent sa tête.
Fit du bonheur public sa plus belle conquête.
Ainsi sur ces conseils Louis réglant ses droits
Fera de ses bontés la règle de ses lois ;
Il n'aura de plaisir qu'en celui que j'inspire
De fixer le séjour des arts en son empire.
De réformer les mœurs, confondre les abus,
Et faire son bonheur du règne des vertus.
(1) M. le Duc. (M.)
(1) M. le Régent. (M.)