(J'ai gardé orthographe telle quelle)
La sédition de la Martinique
Près d'un siècle écoulé sous la zone torride
Le Français a senti l'ardeur de son climat,
Sans avoir de penchant pour l'intérêt sordide.
Et soumis à son chef, quel que l'on lui nommât.
Enfin, tous occupés à différents travaux,
Ils y fouillaient le sein d'une terre féconde,
Et malgré le trident qui fait écumer l'onde,
L'on transportait leurs fruits dans le fond des vaisseaux.
Tous ces peuples vivaient dans une vraie concorde,
Les grands et les petits étaient toujours amis.
Et jamais dans leurs cœurs l'esprit de la discorde
N'avait pu réussir à les rendre ennemis.
C'était un siècle d'or pour tous ces insulaires
Pendant qu'ils ont vécu dans la docilité.
Mais l'envie et l'orgueil s'en étant rendus maîtres,
Leur ont détruit chez eux cette tranquillité.
Aussitôt on a vu le riche ambitieux.
Sans vouloir réfléchir, oublier sa naissance,
Et celui qu'il connaît être dans l'indigence
Il lui semble à présent n'être qu'un vicieux.
Tous ces superbes gens vivent dans l'abondance,
Et leurs gros revenus ne sont pas même assez
Pour satisfaire aux frais de leurs grandes dépenses,
Tant la profusion est poussée à l'excès.
Engoués de plaisirs dans un fond de mollesse,
D'un sourcil courroucé ils voient le créancier,
Et quoi que soit son bien, dont ils font leurs largesses,
Ils lui tournent le dos sans le vouloir payer.
Le marchand, l'artisan ont sujet de se plaindre.
Ils se voient dupés par ces indignes gens
Sans savoir de moyens de les pouvoir contraindre.
Car les vouloir plaider, c'est perdre son argent.
Un pareil procédé s'est fait connaître en cour.
L'illustre et très prudent conseil de la marine,
Qui n'ordonne jamais qu'avant il n'examine,
Réfléchit au moyen d'en arrêter le cours.
Il fallait pour cela des personnes de tête
Chez qui se pût trouver en tout temps l'équité,
Capables d'arrêter une telle tempête.
Par leurs justes arrêts et leur autorité,
Monsieur de Ricouart, le marquis La Varenne (1)
Furent tous deux trouvés dignes de cet emploi.
Unis d'un même esprit, passent l'humide plaine
Pour soumettre ce peuple au devoir de la loi.
(1)
Les Mémoires de la Régence nous fournissent d'intéressants détails sur cette sédition qui eut lieu au mois de juin 1717. « On parla beaucoup de la révolte des habitants de la Martinique contre MM, de La Varenne et de Ricouart, l'un gouverneur général et l'autre intendant de cette colonie. Deux hommes seuls, nommés du Buth, lieutenant-colonel de la milice, et de Hauterive, procureur général du conseil supérieur, soulevèrent l'île, sous le prétexte vrai ou faux de la servitude indigne où on l'avait réduite. Ils envoyèrent des lettres circulaires aux habitants, avec ordre de se trouver armés un certain jour en divers rendez-vous. Ils menaçaient même de faire mourir ceux qui désobéiraient et de brûler leurs habitations. Le gouverneur en fut averti et n'y prit pas garde. Les mécontents profitèrent de sa sécurité. Ils environnèrent une maison où il était à table avec l'intendant, cassèrent les vitres, forcèrent la maison, arrêtèrent les deux magistrats, et les firent conduire à bord d'un vaisseau qui partait pour la Rochelle, avec défense de remettre jamais les pieds dans l'île. En même temps, ils obligèrent le capitaine de jurer qu'il remettrait à la poste de la Rochelle les papiers qu'ils envoyaient sur cette affaire à Son Altesse Royale, et qu'il transporterait en France les deux prisonniers qui lui étaient confiés. Ils portèrent la précaution jusqu'à faire accompagner le vaisseau par deux pirogues bien armées, douze lieues au moins en mer, pour s'assurer de la route qu'il tiendrait. Les actions qui ont un certain air d'audace ne manquent jamais de saisir l'admiration de la multitude. Ainsi on peut juger du tour que les conversations prirent sur cette affaire, que les conjurés avaient achevé de rendre brillante par la modération avec laquelle ils se conduisaient, en se remettant d'abord dans leur devoir, sans que rien dans la suite branlât contre le service de Sa Majesté. »
On trouvera l'affaire plus longuement racontée dans l'Histoire de la Martinique par Sidney-Daney. (Tome III.) — Dans le Recueil Clairambaulty on attribue à cette pièce la date de 1721 ; c'est une erreur évidente.
Ils arrivent enfin en l'île Martinique, (1)
Et n'y sont pas plus tôt qu'on entend en tous lieux
Les peuples oppressés crier à voix publique :
« Béni soit le Seigneur d'avoir reçu nos vœux ! »
Mais le fier habitant crie différemment.
Le cœur rempli de fiel, il écume de rage,
Il dit que ces messieurs lui vont faire un outrage,
Voulant qu'aux créanciers il donne payement,
Et ce qu'ils doivent tous n'est pas dette petite,
Car, payant en entier leur dû totalement,
Il ne leur restait pas à chacun une pite.
Cela seul a fait tout leur mécontentement.
Il faut pourtant payer, ou leur bien est vendu ;
Les sergents l'ont déjà signifié chez eux.
Car un plus long crédit ils ne doivent prétendre,
Et, payant tout leur dû, les voilà rendus gueux.
Le fier Martiniquais se voit en grand hasard ;
Il craint qu'en un seul jour sa fortune succombe,
Et avant que sur lui le gros tonnerre tombe,
(1) Le marquis de La Varenne, capitaine de vaisseau, avait succédé au marquis Duquêne comme lieutenant général des Iles du Vent le 5 janvier 1717. De Ricouart l'avait accompagné en qualité d'intendant.
Dit qu'il faut embarquer La Varenne et Ricouart.
Ce qui fut dit fut fait : l'on forme la révolte,
Les chefs ont gens à eux pour leurrer l'habitant,
Disant qu'on met des droits nouveaux sur leur récolte
Et que le général le veut et l'intendant.
Ceux que l'on a séduits d'eux-mêmes vont aux armes,
D'autres, étant forcés, sont contraints de marcher,
Et le bruit qui se fait, causé par leurs alarmes,
L'on l'entend retentir dans les plus loins rochers.
Ah ! pauvres habitants, on a su vous surprendre ;
Vos intérêts n'ont pas fait leur sédition.
Mais il fallait vos bras pour pouvoir entreprendre
D'oser exécuter une telle action.
Enfin vous marchez tous comme troupe d'élite
Pour trouver ces messieurs au quartier Lamantin ; (1)
Là l'indigne Catier, pire qu'un satellite,
Ose les arrêter le pistolet en main,
Catastrophe cruelle et pour vous et pour eux.
Vous chassez de votre île, ô ciel, quelle insolence !
Ceux en qui votre roi vous a mis en puissance.
Et vous les embarquez comme des malheureux.
Le Seigneur, qui soutient les intérêts des rois,
Votre témérité la punira sans doute.
Ses lumières viendront de la divine voûte,
Pour vos crimes juger à la rigueur des lois. (2)
(1) Bourg de la Martinique.
(2) La pièce est écrite par un insulaire peu familiarisé avec la langue française ; de là l'emploi des locutions insolites et des tournures bizarres que l'on y rencontre.