Chansonnier historique du XVIIIe siècle

La régence partie III


(J'ai gardé orthographe telle quelle)


 La paix des chiens avec les loups


Savez-vous, divine princesse,

Que ce souper qu'a donné Votre Altesse (1)

Repas si grand, si somptueux,

 

(1) « Lundi 28 février, Mme la duchesse de Berry donna une fête à M. et à Mme de Lorraine qui fut d'une magnificence extraordinaire, et il y eut un ordre admirable. Il y avait une table pour les dames de cent vingt-cinq couverts, et d'autres tables pour autant d'hommes au moins. Il y eut grande musique avant le souper. Le palais du Luxembourg, en dedans comme en dehors, était fort illuminé, et on n'a points vu de fête plus superbe et mieux ordonnée. »

(Journal de Dangeau.)

 

Nous ne saurions transcrire en entier, à cause de sa longueur, le menu du repas. Il suffit de dire, pour donner une idée de sa magnificence qu'il se composait, pour le premier service, de 31 potages, de 60 moyennes entrées et de 132 hors-d’œuvre ; pour les deuxièmes et troisièmes services, de 132 entremets chauds, de 60 plats d'entremets froids, et de 72 plats ronds. Le dessert om fruit, comme on disait alors, était de 100 corbeilles de fruits crus, 94 de fruits secs, 50 soucoupes de fruits glacés et 106 compotes. Les plats étaient portés par 200 suisses, et 132 domestiques (nombre égal aux convives), étaient chargés de verser à boire.

 

Saint-Simon nous apprend que Mme de Saint-Simon, qui ordonna cette fête,     

« eut tout l'honneur que de telles bagatelles peuvent apporter par le goût, le choix, l'ordre admirable avec lequel tout fut exécuté »,

 

Contre Cornus (1) a révolté les dieux ?

Que Jupiter, jaloux d'une si belle fête,

A ce dieu des festins a fait laver la tête ?

Qu'il a chargé Momus de l'opération.

Au grand contentement de ce maître bouffon ?

Or voici la turlupinade

Qu'il a faite à son camarade :

« Monsieur Cornus, il est honteux

Que vous traitiez si mal les dieux.

Ignorant en fait de mangeaille.

Vous ne leur servez rien qui vaille.

Tous leurs repas sont au niveau

De celui qu'a chanté Boileau ; (2)

A cela près que leur pitance

Est beaucoup moindre en abondance.

Les ragoûts que vous leur donnez

Sont la plupart empoisonnés :

Toujours quelque plat d'ambroisie

 

(1)  Dieu des festins et de la joie, d'après la Mythologie.

 

(2)  Allusion à la satire III, le Repas ridicule, où, suivant le mot de Voltaire,

« Boileau parle d'un fort mauvais repas en très beaux vers ».

 

Qui jamais ne les rassasie.

On mange mieux sur deux tréteaux

A l'auberge des Sept Moineaux.

En maître d'hôtel sans scrupule,

Sans doute vous ferrez la mule ;

Si vous ne changez à la fin,

Les Immortels mourront de faim.

Chez une charmante princesse,

Abondance et délicatesse

Gisent dans leur plus grand éclat :

Étudiez là quelque plat ;

On en fait tous les jours de reste

Dignes de la table céleste :

Des filets minces d'aloyau,

Des gendarmes au jus de veau,

Petits dindons aux ciboulettes.

Et des anchois en allumettes,

Poulets de grain, mets excellent,

. Cuits derrière le pot cassant,

Pigeons au soleil, chose exquise,

Des côtelettes en surprise.

Aux Immortels a-t-on jamais

Servi le moindre de ces mets ?

Vous devriez mourir de honte.

Mais, Comus, faites votre compte

Que le foudroyant Jupiter

M'a chargé de vous exhorter,

Ou vous commander, pour mieux dire,

A peine d'encourir son ire.

D'apprendre à faire des pâtés.

 

Tous les mets ci-dessus côtés,

Ceux que l'on invente sans cesse,

Pour la table de la princesse ;

Et de ne bouger nuit et jour

Des cuisines du Luxembourg,

Que vous ne soyez grec en sauces.

Sus donc, partez, tirez vos chausses ;

Sans quoi le grand maître des dieux

Pour jamais vous bannit des cieux ;

D'où vous irez dans les guinguettes

Présider aux festins qu'on y donne aux grisettes »

A ce discours, le dieu Cornus

Répondit en riant au cynique Momus :

« Toujours avec plaisir vous vous chargez d'un ordre

Oui vous fournit matière à mordre ;

Mais, pour faire cesser vos bizarres propos,

Je ne vous dirai que deux mots :

Sans sujet, sans raison, les dieux me font la guerre ;

C'est votre esprit noir et malin

Qui leur a soufflé ce dessein.

Je ne m'en embarrasse guère ;

Et dès ce soir je descends sur la terre.

J'irai loger au Luxembourg,

Palais enchanté, le séjour

D'une divinité mortelle.

Bienfaisante, jeune et belle ;

Charmé de ses rares vertus.

Sans regrets je quitte pour elle

Junon, Pallas et Vénus.

Adieu. Je vais chez la princesse

 

Présider aux repas qu'elle donne sans cesse.

Quant à l'emploi d'apprendre à faire des ragoûts,

C'est un emploi digne de vous. »