Gensoul Justin

Le renard architecte

Certain lion, monarque des forêts,

Avait, dit-on, dans ses vastes domaines

Un enclos construit à grands frais,

Où poules et poussins coquetaient par centaines.

Tout alla bien d'abord, et ses regards charmés

De ce petit sérail admiraient l'harmonie,

Et .les combats sanglants des sultans emplumés :

De plus, sa broche était très-bien fournie.

Bientôt, avec surprise, il vit de jour en jour

Diminuer sa basse-cour.

Longtemps il en chercha la cause ;

Enfin il la trouva. La porte était mal close,

La belette y passait, et messire vautour

Fut surpris rôdant à l'entour :

Eh quoi ! dit le lion, c'est pour cette canaille

Que j'engraisserais ma volaille !

Non pas, de par saint George ; on verra s'il fait bon

S'attaquer sans respect à la part du lion !

Mais songeons à la mieux défendre.

C'est un soin que déjà ma sagesse eût dû prendre :

Soudain maître baudet court au loin publier

Qu'on demande à la cour un architecte habile,

Pour construire un palais à la gent volatile,

Vulgairement dit poulailler.

Le concours fut grand, comme on pense ;

L'adroit castor s'y présenta.

Le Renard vint aussi : le Renard l'emporta.

 

Ses plans étaient tout prêts ; aussitôt on commence.

En huit jours l'ouvrage est fini.

Tout s'y trouvait ; l'agréable et l'utile.

Le bâtiment offrait un sûr asile

Contre les vents du nord et les feux du midi.

Chaque poule y tenait, ainsi que sa couvée.

Bref, c'était une oeuvre achevée.

Le Renard, bien payé, se retira joyeux,

Et dans leur nouveau domicile

Les poules vinrent à la file.

Hélas ! y seront-elles mieux ?

Je n'en crois rien. Leur nombre diminue

Plus vite encor que sous l’œil du vautour :

Pourtant les murs sont hauts ; chaque porte est pourvue

D'une serrure à double tour,

Et dés gardes nombreux observent chaque issue.

Le lion en rugit; mais, cachant sa fureur,

Dès la troisième nuit, par un sûr stratagème,

Plumes au bec il surprend le voleur.

C’était... qui  ?.... le Renard lui-même.

 

Grâces à lui le poulailler

Ne craignait pas de visite indiscrète.

Tout était clos, hors la porte secrète

Qui conduisait à son terrier.


Guegan Malcel-Georges

Agonie

Sur le bord du fossé, tranquille, béat, repu, un crapaud,

un gros crapaud verdâtre chauffait aux rais solaires ses

pustules éclatées, ses reins purulents, sa laideur.

Ses pattes et son ventre confondus l'unissaient au sol  il essayait de dresser son court col supportant mal le carré de sa tète lourde, mais ses yeux d'or à la beauté inégalée, à la puissance infinie, à l'ardeur incessante proclamaient toute la douceur native de cet animal utile. Ils exprimaient une bonté extrême qu'exacerbait encore l'horreur repoussante.

Sur le bord du fossé, tranquille, béat, repu, le crapaud digérait force mouches, cloportes et autres bestioles. Sybarite, il semblait apprécier le poids de sa panse, la chaleur de l'astre diurne et, quand l'oiseau chantait, le lièvre folâtrait, la sauterelle bondissait, ses bons yeux d'or semblaient se réjouir du contentement des autres.

L'Homme à son tour passa. La Bête, dés qu'elle l'aperçut, le fixa et son regard parlant disait : je vous aime. L'Homme se taisait, mais, se penchant à terre, ramassa une pierre et sur le crapaud la lança, sauvagement. Puis, d'un rire épais, brutal, où ressortait toute la cruauté humaine, il s'amusa de son acte. La Bête avait roulé, blessée à mort, et de son flanc ouvert coulait la Vie rutilante et chaude. Aux spasmes du crapaud répondaient les hoquets de l'Homme, mais celui-là mourait silencieusement, lors celui-ci bruyamment regardait l'agonie douloureuse.

Plein de sacrifice, d'agissante bonté, l'animal ne cherchait point la moindre vengeance, le moindre mépris.

 

Pour toute réponse, pour tout reproche, avant d'expirer, il redressa la tête vers son bourreau et ses yeux d'or malgré tout magnifiques, sans voile, jetèrent à l'Homme, hébété maintenant, un regard long et doux, sublime d'indulgence et de pardon…