N'espère jamais le bonheur
Si tu deviens félon ou traître ;
La trahison toujours retourne à son auteur.
Le sort d'un Vermisseau te le fera connaître.
Il avait fait serment, naguère, au jardinier
De ne toucher aux fruits d'aucun pommier.
Cet homme lui laissa la vie :
« Que peut, se disait-il, manger un Vermisseau ?
« Au plus quelque feuille flétrie ».
Il vivait sur un arbrisseau
A l'abri du besoin, des vents et de la pluie.
Dans le temps que Phébus brille au plus haut des cieux,
Et mûrit les fruits qu'il colore,
Un petit écolier, gourmand et curieux,
Rôdait dans un jardin, lieu que Pomone et Flore
Embellissaient de leurs dons précieux ;
Mais quel objet frappe soudain ses yeux ?
C'est une pomme, rouge, ambrée, appétissante,
Sur la cime de l'arbre à sa branche pendante.
Entre mille il la convoitait,
Et sans cesse la regardait.
Le désir donne à tout un prix inestimable.
Trop faible, sur cet arbre il ne peut s'élever,
Bien moins encor le secouer ;
Qui lui sera donc favorable,
Et le secondera dans ce petit larcin ?
« Moi, dit le Vermisseau ; moi, car je suis certain
« Que, pour la récolte des pommes,
« Le maître, dès ce jour, envoie un de ses hommes :
« La pomme, il faut en convenir,
« A toi non plus qu'à moi ne doit appartenir ;
« Eh bien ! je puis la rendre tienne
« Si tu m'en cèdes un morceau ;
« Petite part suffit au Vermisseau,
« Le quart au plus sera la mienne ».
Marché conclu ; le ver monte sur le pommier,
Il ronge, il ronge : ... crac, la pomme détachée
Roule sur l'herbe, et l'avide écolier
S'en empare aussitôt, n'en fait qu'une bouchée,
Même avec les pépins : « Me gardes-tu ma part ? »
Dit le Ver. - « Oui, descends. » -Il arrive... trop tard ;
Il veut se plaindre, et lui coupant la phrase,
Mon polisson du pied l'écrase.
Un naissant arbrisseau, fier de son beau feuillage,
Des arbres ses aïeux partout environnés,
Et de leur ombre importuné,
Voyait un bûcheron retourner au village :
« Bûcheron, lui dit-il, prends pitié de mes maux ;
« L'envieuse forêt me voile et m'environne,
« De ma verdoyante couronne
« Les vents et le soleil ignorent les rameaux.
« Prends la hache libératrice ;
« Je ne puis pas grandir : rends-moi Zéphyr absent,
« Et viens abattre, aux pieds de l'arbrisseau naissant,
« Cette forêt usurpatrice ».
Il dit, et la forêt, autour du chêne enfant,
De sa vaste chute indignée,
Tombe, tombe longtemps sous la lourde cognée ;
L'Arbrisseau, libre enfin, lève un front triomphant.
Mais tandis qu'affranchi de leur voûte importune
Des arbres renversés il raillait l'infortune,
La chèvre en passant le blessa ;
Les rayons de l'été sur lui seuls s'arrêtèrent,
La grêle l'assaillit... les vents le tourmentèrent,
La tempête le renversa.
Témoin de ce brillant naufrage,
« Ingrat, dit un serpent, ces arbres déjà vieux :
«De ta prospérité n'étaient point envieux,
« Ils ne te cachaient qu'à l'orage.
« Sous leur immense abri, sans crainte et sans regrets,
« Dans un nuage de rosée
« Ta jeunesse fertilisée
« Des éléments jaloux aurait bravé les traits ;
« Et, protecteurs de ta faiblesse,
« Tes antiques parents, en tombant de vieillesse,
« N'auraient légué qu'à toi l'empire des forêts ».