Admirons !
Air : Les deux sœurs de charité, de Bretagne.
O nature !
- Fleurs, fruits et culture -
En toi tout ce qui vient germer
Tu sais l’accueillir et l’aimer.
Mes bons amis, faisons comme elle :
Accueillons les talents nouveaux
Sans établir de parallèle,
Ils ont tous droit à nos bravos.
Songeons qu’une critique acerbe,
Lorsqu’un mot l’eût pu soutenir,
A fait parfois mourir en herbe
Le grain dont vivrait l’avenir.
O nature !
- Fleurs, fruits et culture -
En toi tout ce qui vient germer
Tu sais l’accueillir et l’aimer.
Toujours vouloir que l’on compare
Ecraser le bien sous le mieux,
C’est ainsi que l’esprit s’égare,
Que l’envie obscurcit le rose ;
Prés du rouge éclate le blanc :
Dieu n’a-t-il pas en toute chose
Mis son regard étincelant ?
O nature !
- Fleurs, fruits et culture -
En toi tout ce qui vient germer
Tu sais l’accueillir et l’aimer.
Dans l’antiquité, si fertile
Qu’elle encore notre fanal,
On admire Homère et Virgile,
Anacréon et Juvénal.
Du doux Tibulle au sombre Dante,
Du grand Corneille au fin Gresset,
Applaudissons ! Mais que l’on chante
Chénier, Larmartine et Musset !
O nature !
- Fleurs, fruits et culture -
En toi tout ce qui vient germer
Tu sais l’accueillir et l’aimer.
Dans l’art vivant de la peinture,
Recherchons sous chaque pinceau
Les vrais amants de la nature :
Claude, Ruysdaël, Troyon, Rousseau.
D’un Delacroix la fougue extrême,
D’Ingre la sobre pureté,
Nous prouvent bien qu’il faut qu’on aime
L’art dans chaque variété.
O nature !
- Fleurs, fruits et culture -
En toi tout ce qui vient germer
Tu sais l’accueillir et l’aimer.
Le divin Mozart nous emfflamme,
Sans nous empêcher d’admirer
Clück, dont l’accent éléve l’âme
Que Donizzetti fait pleurer,
David a la grâce française ;
L’esprit pétille chez Auber ;
Unissons dans une synthèse
Hérold, Rossini, Meyerbeer !
O nature !
- Fleurs, fruits et culture -
En toi tout ce qui vient germer
Tu sais l’accueillir et l’aimer.
Béranger a la grande lyre,
Il est satirique et profond
Désaugniers a le joyeux rire ;
La nature vibre en Dupont.
Aimons tous les talents sincères ;
Le fin Collé, le franc Panard
Accueillaient, en choquant leurs verres,
Crébillon et Gentil-Bernard.
O nature !
- Fleurs, fruits et culture -
En toi tout ce qui vient germer
Tu sais l’accueillir et l’aimer.
Pour faire un cortège au géni
Acclamons les talents au génie ;
Il faut de tout pour l’harmonie :
Petites chansons et grands vers.
Près du rossignol la linotte
Module un doux chant fraternel :
Que chacun pousse donc sa note
Dans le concert universel !
O nature !
- Fleurs, fruits et culture -
En toi tout ce qui vient germer
Tu sais l’accueillir et l’aimer.
L’avenir est républicain *
(Avril 1877)
Air : les aiguilles et les jeunes filles
* Il y a dans cette chanson des allusions et des politiques qui doivent être encore dans la mémoire de tous.
Quand on a lu le manifeste
Qui nous arrive de Gorizt,
On doit oublier le reste,
Quatre-vingt-neuf comme Austerlitz.
Mon cœur de joie enfin s’épanche
Car je vais sur mon baldaquin
Poser une cocarde blanche…
Je ne suis pas républicain.
Spéculant sur notre faiblesse,
Ce gouvernement saugrenu
Rêve d’abolir la noblesse
Et d’implorer le revenu.
Quoi ! je verrais ma seigneurie
Sujette aux lois comme un faquin ?
Palsambleu ! qu’elle effronterie !…
Je ne suis pas républicain.
Heureusement la chambre basse
Ne peut seule faire une loi ;
Le sénat juge, amende, efface,
Puis en ordonne le renvoie.
Entre nous je ris à me tordre,
En voyant ce sénat taquin
De l’ordre faire du désordre…
Je ne suis pas républicain.
Leur droit, qu’ils disent sans réplique,
Vient d’où ? du vote universel.
Le droit divin, le mot l’explique,
Part de plus haut, tombant du ciel.
Pour gouverner, qu’elle impudence !
Consulter le dernier pékin !
J’aime trop mon indépendance…
Je ne suis pas républicain
Reviens donc, mon seigneur et maître,
Ton drapeau n’est pas un linceul ;
On dit, qu’en te voyant paraître
La chassepot partirait seul.
Il partirait pour ta victoire ;
Car, plus superbe que Tarquin,
Tu n’as rien fait… et c’est ta gloire…
Je ne suis pas républicain.
Allons, qu’on prépare une fête !
Que nos sujets soient jubilants !
Depuis trop longtemps elle est prête,
La voiture aux panaches blancs.
Voilà quatre ans que je fredonn
D’or et de lys ton palanquin !
Cher Henri, reprends ta couronne !…
Je ne suis pas républicain.
Au passé l’homme se rattache
Vainement par croyance ou peur ;
Laissons regretter la patache
Et servons-nous de la vapeur !
Regretter n’est pas ridicule
Garder sa foi n’est pas mesquin ;
Mais plaignons celui qui recule :
Je ne suis pas républicain.
Mon manifeste *
(Janvier 1878)
Air de la femme à Barbe
* Deuxième couplet – Allusion aux deux messages
du Président de la République de cette époque.
Messieurs, je suis républicain,
Cela ne surprendra personne ;
Vous ne craignez donc d’un Turquin
Ni le glaive, ni la couronne.
Mais, sachant que l’on peut avoir
L’esprit de vertige au pouvoir
Et qu’en devenant chauve on aime
A se coiffer d’un diadème,
Je jure ici que mon orgueil
A pour limite ce fauteuil.
Je m’y pose, simple et modeste,
Prenant ces mots pour manifeste :
Pour un an j’y suis, et j’y reste !
En janvier, votre président
Doit vous apporter un message.
Moi, j’en ai deux, c’est plus prudent ;
La prudence est le lot du sage.
Dans le premier, avec fierté,
Je soutiens mon autorité ;
Au second je suis démocrate ;
Vous le prendrez si l’autre rate.
Quoi qu’il en soi, tout mon orgueil
A pour limite ce fauteuil ;
Je m’y pose, simple et modeste,
Prenant ces mots pour manifeste :
Pour un an j’y suis, et j’y reste !
Mieux vaut revenir, je le crois,
Au régime parlementaire,
Puisqu’il nous donne tous les droits,
Excepté celui de nous taire.
Car tous les mois les orateurs
Doivent apparaître en chanteurs.
Je veux dire : Il faut que tous chantent,
Et non pas que tous nous enchantent.
Moi-même, ayant bon pied, bon œil,
Emplissant ce large fauteuil,
Plus d’une fois, c’est manifeste,
Quand j’appelle ma voix céleste,
L’ingrate dans mon gosier reste !
Chantant bien ou mal, mon seul vœu,
C’est que, libres, tous puissent dire,
Même en se taquinant un peu,
Le mot qui fait rire ou sourire
Qu’importe que Duvelloy
Avec l’i grec chante son roy,
Si moi, son filleul, je réplique
En acclamant la République.
Chacun sa joie et son orgueil,
Et c’est pourquoi, de ce fauteuil,
Je dit : République modeste,
Qu’on t’accueille ou que l’on proteste,
Sois douce, aimable, et surtout… reste !