Le Caveau septième année (1841)

La fin du monde en 1840

Air : du bailleur éternel de Désaugiers

Ah ! ah ! ah ! ah ! de Nostradamus

La prophétie est désolante ;

Ah ! ah ! ah ! ah ! c’est en l’an quarante ;

Qu’on dit son dernier oremus !

 

Ce tas d’étoiles si belles,

Sur notre monde arrondi,

Va filer en plein midi :

On verra mille chandelles !

Ah ! ah ! ah ! ah ! etc.

 

Nous en verrons bien des grises,

Lorsque le ciel tombera :

C’est alors que l’on verra

Bien des alouettes prises !

Ah ! ah ! ah ! ah ! etc.

 

Ne voulant que plaie et bosse,

Le porteur d’eau du bon Dieu

Va submerger chaque lieu :

Pour les poissons, quelle noce !

Ah !  Ah ! Ah ! ah ! etc.

 

Tout deviendra sombre ou terne

Le soleil, ce grand quinquet,

Place dans une lanterne !

Le Caveau septième année

Ah ! ah ! ah ! ah ! etc.

 

Las ! pour comble d’infortune,

Dieu, qu’on disait un Richard,

Dans son palais de brouillard,

Fera des trous à la lune !…

Ah ! ah ! ah ! ah ! etc.

 

Nous aurons beau chanter pouilles,

Il va choir du haut en bas

Du feu, du fer, des plâtras,

Ah ! ah ! ah ! ah ! etc.

 

Du blé, la graine féconde

Dans les sillons pourriras ;

Quand la disette viendra

On verra la faim du monde…

Ah ! ah ! ah ! ah ! etc.

 

Dans cette déroute immense,

Où triomphera la mort,

Les riches perdront leur or,

Et les pauvres l’espérance !…

Ah ! ah ! ah ! ah ! etc.

 

Vieux Satan, déjà tu grilles

De voir tout dans le chaos ;

Avec nos têtes, nos os,

Tu pourras jouer aux quilles…

 

Ah ! ah ! ah ! ah ! Nostradamus

La prophétie est désolante ;

Ah ! ah ! ah ! ah ! c’est en l’an quarante,

Qu’on dit son dernier oremus !

Justin Cabassol,

Membre titulaire.

 

 

 

L’excellent Français

Air : j’ai vu le Parnasse des dames

J’aime mon pays et désire

Que personne n’en doute ici.

Mais l’amour sacré qu’il m’inspire

Ne m’aveugle pas, Dieu merci !

La fièvre patriotisme

Chez moi, dans ses plus fort accès,

Ne va pas jusqu’au fanatisme…

Et cependant, je suis français !

Je suis un excellent français !

 

Cette origine qui m’honore

Je ne pense pas l’outrager,

Lorsque, dans ma faim, je dévore

Quelques produits de l’étranger.

Ma soif ne connaît pas de gêne ;

Car je bois, dans mes jours d’excès,

Plus de Porto que de Surène…

Et cependant, je suis français !

Je suis un excellent français !

 

L’hiver, lorsque le froid m’assiège,

Et par le brouillard aveuglé,

Sur nos trottoirs couverts de neige,

Vingt fois, je me suis étalé.

Alors, excusez ma folie,

Au pays que je chérissais,

J’aurais préféré l’Italie…

Et cependant, je suis français !

Je suis un excellent français !

 

Quand chez nous un auteur radote,

On l’applaudit à qui mieux mieux

C’est à tort ; un compatriote

N’a pas le droit d’être ennuyeux :

A ce citoyen ridicule,

Loin de désirer des succès,

Et cependant, je suis français !

Je suis un excellent français !

 

Ils sont passés, ces jours de fêtes,

Où nos soldats, pleins de valeur,

Faisaient conquêtes sur conquêtes,

Aux cris de : Vive l’empereur !

Et moi que tant de gloire étonne,

Hier soir, je m’assoupissais,

En chantant l’air de la colonne…

Et cependant, je suis français !

Je suis un excellent français !

 

Paris, si fécond en merveilles,

Possède plusieurs romanciers,

Qui de nos jours charment les vieilles

Des grisettes et des portiers.

Eh bien ! malgré leur vogue en France,

C’est à Walter Scott l’Écossais

Que je donne la préférence !…

Et cependant, je suis français !

Je suis un excellent français !

 

Par habitude et par nature.

Je n’aime pas me coucher tard ;

Aussi, jamais je ne figure

Dans les bals de monsieur Musard.

Au milieu de cette cohue,

Que faire, si je paraissais ?

Je ne connais pas le chahut…

Et cependant, je suis français !

Je suis un excellent français !

 

Suspends tes accords, ô ma muse !

C’est trop d’efforts infructueux ;

Il ne faut pas que je m’abuse,

Lamartine et moi, ça fait deux ;

Si ce poète un jour s’empare

De mes malencontreux essais,

Il me prendra pour un barbare…

Et cependant, je suis français !

Je suis un excellent français !

Eugène Désaugiers,

Membre honoraire.

 

 

 

L’appartement

Air de la treille de sincérité

Dans la ville

Il n’est pas facile

Suivant son goût, son sentiment,

De trouver un appartement.  (bis)

 

Lorsque la fortune est docile ,

On peut, sans ostentation,

Avoir toujours un domicile

Offrant, en toute occasion,

 

Heureuse distribution.

Si d’un homme on juge la vie

Par son style ou son vêtement,

Je crois que mieux on l’apprécie

Au choix qu’il fait d’un logement.

Dans la ville, etc.

 

L’antichambre est indispensable,

Mais cette pièce, selon moi,

Doit toujours être inhabitable,

Chez l’homme du plus haut emploi,

Même dans le palais d’un roi.

Sachons ne jamais faire attendre

Ceux que vers nous guident leurs maux.

L’antichambre ne peut prétendre

Qu’à serrer cannes et manteaux !…

Dans la ville, etc.

 

La salle à manger que j’honore,

Parmi les pièces d’un logis,

Dois être vibrante et sonore

Pour redire, en tons infinis,

Les glou-glous, les chants et les ris…

Je la veux grande et confortable,

Je veux qu’une fois dans son sein,

On puisse y demeurer à table,

S’il le faut, jusqu’au lendemain.

Dans la ville, etc.

 

Un salon !… je le veux immense,

Afin d’y voir briller soudain,

Et la poésie et la danse,

Et la musique et le dessin,

Tous les arts se donnant la main !

Là, du moins, sera sans réplique,

Dans ce séjour d’heureux loisirs,

La voix d’un brouillon politique,

Ou d’un censeur de nos plaisirs.

Dans la ville, etc.

 

Sans alcôve et sans jalousie,

Je veux une chambre à coucher.

Surtout pas de double sortie,

Pas de recoins pour se cacher,

Femme est si prompte à trébucher…

Je veux, en dépit de l’usage,

Ne pouvoir y mettre qu’un lit ;

Car s’il est de pleurs en ménage,

C’est encor là qu’on les tarit !…

Dans la ville, etc.

 

Nous faut-il des milliers d’ouvrages

Pour bien diriger notre esprit ?

Prenons les auteurs les plus sages,

Et dans un local bien petit,

Tiendra tout ce qu’ils ont écrit…

quant à moi, pour bibliothèque,

Je n’aurai qu’un ou deux casiers,

Où, près d’Homère et de Sénèque,

Seront Corneille et Désaugiers !

Dans la ville, etc

 

Un boudoir ! je prétends l’exclure.

L’amour n’est-il pas bien partout ?

Quant à la cuisine, j’adjure

Les bons vivants, homme de goût,

De s’en occuper avant tout.

En quelque lieu qu’amour habite,

Ses feux ont les mêmes attraits ;

Tandis qu’il faut donner un gîte

Aux feux qui font cuire nos mets.

Dans la ville, etc.

 

Enfin, et ce point est fort grave,

Pour moi comme pour ses amis,

Il me faut une vaste cave,

Où les vins de tous les pays

Se trouvent toujours réunis.

Par des richesses qu’elle enserre,

Une cave, à plus d’un mortel,

Bien qu’astreinte à rester sous terre,

Procure un avant-goût du ciel…

Dans la ville

Il n’est pas facile

Suivant son goût, son sentiment,

De trouver un appartement.  (bis)

Auguste Giraud,

Membre titulaire.

 

 

 

Les mélanges de la vie

ou

Moitié figue et moitié raisin

Air : De sommeiller encor, ma chère.

On a tant fait de chansonnettes

Et de couplets, souvent sans prix,

Qu'en vérité, pour ces sornettes,

Tous les sujets ont été pris.

 

Frappé d'un tel désavantage,

Quand de chanter j'avais dessein,

J'ai découvert ce vieil adage :

Moitié figue et moitié raisin. {Bis

 

Pour tirer d'un refrain semblable

Un parti qui convînt à tous,

Il faudrait se donner au diable :

Mes amis, je me donne à vous.

De ma muse, qui se travaille,

Enrichissez le magasin,

Et souriez à ma trouvaille,

Moitié figue et moitié raisin.

 

Tout est mélange en ce bas monde :

Le bien siège a côté du mal ;

La brune est auprès de la blonde,

Et l'homme auprès de l'animal.

L'épine croît avec la rose,

Du chêne l'arbuste est voisin :

Le temps fuit, joyeux ou morose,

Moitié figue et moitié raisin.

 

Sous l'aile du chaste hyménée,

Reposaient deux jeunes époux,

A qui leur simple destinée

Promettait les biens les plus doux.

Les noirs soucis viennent en foule

Se glisser sous le traversin ;

De leurs ans le nombre s'écoule

Moitié figue et moitié raisin.

 

Une espiègle et vive coquette,

En un bal, déployant son art,

Au trébuchet de l'étiquette,

Avait pris plus d'un fin renard.

A son boudoir, un malin drille

Essaie un amoureux larcin :

La belle cède à ce qui brille,

Moitié figue et moitié raisin.

 

L'homme est déçu par la fortune,

Plus versatile que le vent ;

Un orateur à la tribune,

Par sa mémoire, l'est souvent.

Vices, vertus, tout passe et change ;

Qu'on soit noble ou qu'on soit vilain,

A la table du sort, on mange

Moitié figue et moitié raisin.

Albert-Montémont,

Membre titulaire