Pour des sonnets en fasse qui les aime :
Chacun son goût, mais ce n'est pas le mien.
Un bon, dit-on, vaut seul un long poème ;
Heureux qui peut en amener à bien.
Mon vers, hélas ! À l'humeur vagabonde ;
Ne lui parlez d'entraves seulement.
Un peu de rime, - encor Dieu sait comment !
S'il peut souffrir, c'est tout le bout du monde.
Ruisseau furtif, je le laisse courir
Parmi les prés, le livrant à sa pente ;
Il saute, il fuit, il gazouille, il serpente,
Chemin faisant, il voit ses bords fleurir.
Qu'un voyageur parfois s'y désaltère,
Et d'un merci le salue en partant,
Ou ses attraits qu'une jeune bergère
Vienne y mirer, c'est un ruisseau content.
Sous mes oliviers verts, en mon riant séjour,
Quand vous me croyez seul, j'ai bonne compagnie,
Bons livres; à ces gens d'aimable et doux génie
Je fais parfois un doigt de cour.
Les poètes légers descendent sur ma plage,
Leur esquif est à mon rivage
Amarré depuis plus d'un jour.
Oui, de tous lieux, chez moi s'empresse
La foule des chantres aimés ;
Mais par aucun, dans ma tendresse,
Certains Français ne sont primés ;
Ceux-là, ce sont mes rois, mes dieux et davantage.
Je suis à deux genoux devant leur bon langage
Net et sain, pur bon sens de grâce revêtu.
Que d'agréments dans leur sourire !
Le temps n'en a rien rabattu.
Ces tours charmants, fines fleurs du bien-dire,
Ont des beautés encor dont on est amoureux.
Veuille Dieu qu'en ce présent livre
Ait laissé trace au moins ma passion pour eux !
Contes y sont, lecteur, je te les livre ;
Dis-nous-en ton avis quand tu les auras lus.
Si je n'ai su d'attraits et grâces assorties
A ton gré les parer, il ne me reste plus
Qu'à jeter la lyre aux orties.
Ah ! Nul n'a plus souci des roses, de l'aurore,
Des grâces d'avril et de mai ;
Des oiseaux et des fleurs, qui se souvient encore ?
Plus rien de naïf n'est aimé.
Non, ne le croyez pas. Consolons-nous, poètes ;
Le printemps a toujours sa cour ;
II est quelqu'un pour qui les avrils sont des fêtes ;
Il n'est pas mort, le grand amour.
Quand on n'entendrait plus rire de jeunes filles,
Par couples, dans les verts chemins ;
Quand le désir de l'or, seul souci des familles,
Ferait seul se toucher nos mains ;
Rien ne serait, perdu, fleurs, chansons, ni lumière,
Gloire des avrils triomphants ;
Car, ô nature en fleur, ta grâce coutumière
Plaît toujours aux. Petits enfants !
Ils savent, les petits, par-dessus toutes choses,
L'utilité des fleurs des champs ;
Il leur faut des oiseaux, des papillons, des roses,
Il faut les bercer par des chants.
Ils aiment la beauté fragile, et la cadence
Nécessaire à leur bon sommeil ;
L'azur est fait pour eux ; pour eux a lieu la danse
Des atomes clans du soleil.
Cependant qu'aux cités chacun suit son envie,
Dans l'oubli des vrais biens de Dieu,
L'enfant cherche, étranger, ce qui dans cette vie
Lui rappelle son pays bleu.
Un murmure, un rayon, voilà ce qui le charme ;
Une ombre, un cri le met en pleurs ;
C'est lui la poésie : un sourire, une larme,
L'amour des rayons et des fleurs. . .
La Muse, nu jour, le cœur navré de nos querelles,
Fuyait ce monde vicieux ;
Belle et triste, elle ouvrait déjà ses grandes ailes,
Prête à remonter dans les cieux. . .
Mais elle s'arrêta, - clémente au monde infâme
Où l'homme là l'homme est ennemi,
Parce qu'elle avait vu, bercé d'un chant de femme,
Sourire un enfant endormi.
Midi : voici sonner l'heure des ouvrières ;
Le soleil cuit l'asphalte mou sur les trottoirs.
C'est l'heure où, sur l'étain vulgaire des comptoirs,
Luisent les verres pleins d'absinthes meurtrières,
Midi : Plumes et fleurs et Robes et manteaux,
C'est un long défilé de filles maigrelettes
Sortant des ateliers pour faire leurs emplettes
De la charcuterie et de banals gâteaux.
D'autres, par deux ou trois, vont dans les crémeries ;
Et toutes se penchant pour lire le menu,
Choisissent, avec un frais sourire ingénu,
Dans la liste des mets, les plats à sucreries.
Ce mince déjeuner ne leur coûte pas cher ;
Quinze on vingt sous ; et puis deux sous de violettes ;
Et les mignonnes au travail rentrent seulettes,
Les fleurs se parfumant du parfum de leur chair.
Le rouge de leur joue est de mauvais augure ;
Un mal futur se lit dans leur regard drop clair ;
Leur rire sonne faux et tristement, dans l'air,
Malgré que la jeunesse anime leur figure.
Dans le Paris désert des jours lourds de l'été,
Moins pâles, cependant, sous la caresse amie
Du soleil embrasé, chauffant leur anémie,
Elles jettent, partout, un peu de leur gaieté.
Couturières, les dés protègent leurs doigts probes.
Leur paire de ciseaux pend au bout d'un lacet
Et, comme pour monter à l'assaut du corset
Un bout de fil serpente aux traînes de leurs robes.
Elles causent du plus récent assassinat,
De suicides par amour et de mariages,
Cependant que leurs yeux lorgnent, aux étalages,
Les bijoux défendus, sur des coussins grenat,
Des vieillards « allumés » par leur démarche lente,
Leur murmurent des mots ignobles, en passant :
Elles prennent, alors, un grand air innocent
Et rougissent avec une candeur troublante...
De nouveau la rue est paisible. Le soleil
Caniculaire luit sur le zinc des toitures.
Tandis que, dans le sourd ronflement des voitures,
Bourgeoisement, la rue a repris son sommeil.
La Mort, lumière surpassant en éclat la vie, mande aux cieux de résorber
Etoile à étoile les âmes dont la lueur fit divine la terre.
La mort, nuit surpassant en éclat le jour, voit flagrer et fleurir,
Fleur à fleur, et soleil à soleil, les renommées qui brillent
Immortelles à son firmament, plus hautes que la vie ne contempla leur signe souverain
Simonide de Céos mort jadis, récemment ressuscité,
Rendu par Dieu une fois de plus, une fois de plus pleuré des hommes,
Reluisait hier soir ô gloire frêle comme le souffle.
Frêle ? Mais le souffle de la renommée ravive, avive, couve en sa garde
Une vie si douce que celle-ci qui meurt et rejette la mort.
Le maternel amour, le frisson ravi de la mer, de qui le flanc
Engendre une éternelle vie de joie qui mord comme l'âpreté de l'onde,
L'orgueil de la chanson, et la joie d'oser la destinée du chanteur,
La tristesse douce comme le sommeil, et le rire clair comme un vin,
Empourprèrent et emplirent de fragrances embrasées sa ligne lyrique.
Et telle la conque profère, comme la corde au heurt du plectre,
Une musique disant toute la musique de la mer en elle accumulées,
Poète bien-aimé, dont la louange est dite par notre douleur,
Telles tes chanson, gardant ton âme, et, telles, restituent,
Une vie si douce que celle-ci qui meurt et rejette la mort.
Cote à côte, nous pleurâmes au tombeau d'or de Gautier
Ici, en esprit, me voici debout et qui pleure auprès du tien
Pourtant nulle haleine de mort n'en provient hostile, nulle ombre ne s'en projette lugubre,
Seule une lumière à ébloui l'or vierge du suprême filon,
Seule une vapeur d'encens tiède du tabernacle même de l'amour.
Ni la rivière de ténèbres, le gué stygien qui s'interpose,
Ni l'heure qui vient férir et fendre comme une épée.
Ni la nuit victorieuse d'une lumière périssable
Ne sauront abattre, ni soumettre, ni séparer de nous par quelque arrêt abhorré
Une vie si douce que celle-ci qui meurt et rejette la mort.
Prince de la chanson plus douce que le miel, lyrique Seigneur,
Ta France ne pleure pas seule, ici, une lumière qu'elle adorait,
De qui la renommée que l'amour illumine est l'héritage du monde :
Des étrangers aussi, frère aujourd'hui, saluant en unisson de cœur
Une vie si douce que celle-ci qui meurt et rejette la mort.
Sur tes riches tapis, sur ton divan qui laisse
Au milieu des parfums respirer la mollesse,
En ce voluptueux séjour,
Où loin de tous les yeux, loin des bruits de la terre,
Les voiles enlacés semblent, pour un mystère,
Eteindre les rayons du jour,
Ne t'enorgueillis pas, courtisane rieuse,
Si, pour toutes tes sœurs ma bouche sérieuse
Te sourit aussi doucement,
Si, pour toi seule ici, moins glacée et moins lente,
Ma main sur ton sein nu s'égare, si brûlante
Qu'on me prendrait pour un amant.
Ce n'est point que mon cœur soumis à ton empire,
Au charme décevant que ton regard inspire
Incapable de résister,
A cet appât trompeur se soit laissé surprendre
Et ressente un amour que tu ne peux comprendre,
Mon pauvre enfant ! ni mériter.
Non : ces rires, ces pleurs, ces baisers, ces morsures,
Ce cou, ces bras meurtris d'amoureuses blessures,
Ces transports, cet oeil enflammé ;
Ce n'est point un aveu, ce n'est point un hommage
Au moins : c'est que tes traits me rappellent l'image
D'une autre femme que j'aimai.
Elle avait ton parler, elle avait ton sourire,
Cet air doux et rêveur qui ne peut se décrire.
Et semble implorer un soutien ;
Et de l'illusion comprends-tu la puissance ?
On dirait que son oeil, tout voilé d'innocence,
Lançait des feux comme le tien.
Allons : regarde-moi de ce regard si tendre,
Parle-moi, touche-moi, qu'il me semble l'entendre
Et la sentir à mes côtés.
Prolonge mon erreur : que cette voix touchante
Me rende des accents si connus et me chante
Tous les airs q'elle m'a chantés !
Hâtons-nous, hâtons-nous ! Insensé qui d'un songe
Quand le jour a chassé le rapide mensonge,
Espère encor le ressaisir !
Qu'à mes baisers de feu ta bouche s'abandonne,
Viens, que chacun de nous trompe l'autre et lui donne
Toi le bonheur, moi le plaisir !
À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes
Voilà la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfant
Ta mère ne t'habille que de bleu et de blanc
Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize
Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Église
Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette
Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège
Tandis qu'éternelle et adorable profondeur améthyste
Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ
C'est le beau lys que tous nous cultivons
C'est la torche aux cheveux roux que n'éteint pas le vent
C'est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère
C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prières
C'est la double potence de l'honneur et de l'éternité
C'est l'étoile à six branches
C'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il détient le record du monde pour la hauteur
Pupille Christ de l’œil
Vingtième pupille des siècles il sait y faire
Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l'air
Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder
Ils disent qu'il imite Simon Mage en Judée
Ils crient s'il sait voler qu'on l'appelle voleur
Les anges voltigent autour du joli voltigeur
Icare Énoch Élie Apollonius de Thyane
Flottent autour du premier aéroplane
Ils s'écartent parfois pour laisser passer ceux qui portent la Sainte-Eucharistie
Ces prêtres qui montent éternellement en élevant l'hostie
L'avion se pose enfin sans refermer les ailes
Le ciel s'emplit alors de millions d'hirondelles
À tire d'aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux
D'Afrique arrivent les ibis les flamands les marabouts
L'oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes
Plane tenant dans les serres le crâne d'Adam la première tête
L'aigle fond de l'horizon en poussant un grand cri
Et d'Amérique vient le petit colibri
De Chine sont venus les pihis longs et souples
Qui n'ont qu'une seule aile et volent par couples
Puis voici la colombe esprit immaculé
Qu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocellé
Le phénix ce bûcher qui soi-même s'engendre
Un instant voile tout de son ardente cendre
Les sirènes laissant les périlleux détroits
Arrivent en chantant bellement toutes trois
Et tous aigle phénix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
Des troupeaux d'autobus mugissants près de toi roulent
L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus être aimé
Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un monastère
Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière
Tu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire pétille
Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
C'est un tableau pendu dans un sombre musée
Et quelquefois tu vas le regarder de près
Aujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées
C'était et je voudrais ne pas m'en souvenir c'était au déclin de la beauté
Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m'a regardé à Chartres
Le sang de votre Sacré-cœur m'a inondé à Montmartre
Je suis malade d'ouïr les paroles bienheureuses
L'amour dont je souffre est une maladie honteuse
Et l'image qui te possède te fait survivre dans l'insomnie et dans l'angoisse
C'est toujours près de toi cette image qui passe
Maintenant tu es au bord de la Méditerranée
Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'année
Avec tes amis tu te promènes en barque
L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
Et tu observes au lieu d'écrire ton conte en prose
La cétoine qui dort dans le cœur de la rose
Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit
Tu étais triste à mourir le jour où tu t'y vis
Tu ressembles au Lazare affolé par le jour
Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont à rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir en écoutant
Dans les tavernes chanter des chansons tchèques
Te voici à Marseille au milieu des pastèques
Te voici à Coblence à l'hôtel du Géant
Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon
Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide
Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde
On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
Je me souviens j'y ai passé trois jours et autant à Gouda
Tu es à Paris chez le juge d'instruction
Comme un criminel on te met en état d'arrestation
Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps
Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter
Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté
Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent les enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages
Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine
Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune
Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre cœur
Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels
Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges
Je les ai vu souvent le soir ils prennent l'air dans la rue
Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs
Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux
Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux
Tu es la nuit dans un grand restaurant
Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant
Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant
Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey
Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercées
J'ai une pitié immense pour les coutures de son ventre
J'humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche
Tu es seul le matin va venir
Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues
La nuit s'éloigne ainsi qu'une belle Métive
C'est Ferdine la fausse ou Léa l'attentive
Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied
Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée
Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance
Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances
Adieu Adieu
Soleil cou coupé
Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays.
Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes nuits
Que faut-il faire de mes jours
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit.
C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un cœur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu.
Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton cœur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
J'ouvre mon estomac, une tombe sanglante
De maux ensevelis. Pour Dieu, tourne tes yeux,
Diane, et vois au fond mon cœur parti en deux,
Et mes poumons gravés d'une ardeur violente,
Vois mon sang écumeux tout noirci par la flamme,
Mes os secs de langueurs en pitoyable point
Mais considère aussi ce que tu ne vois point,
Le reste des malheurs qui saccagent mon âme.
Tu me brûles et au four de ma flamme meurtrière
Tu chauffes ta froideur : tes délicates mains
Attisent mon brasier et tes yeux inhumains
Pleurent, non de pitié, mais flambants de colère.
À ce feu dévorant de ton ire allumée
Ton oeil enflé gémit, tu pleures à ma mort,
Mais ce n'est pas mon mal qui te déplait si fort
Rien n'attendrit tes yeux que mon aigre fumée.
Au moins après ma fin que ton âme apaisée
Brûlant le cœur, le corps, hostie à ton courroux,
Prenne sur mon esprit un supplice plus doux,
Étant d'ire en ma vie en un coup épuisée.
Celui-là c'est le chef, c'est le chanteur insigne
Qui jette dans l'azur les perles de sa voix ;
C'est le poète heureux, qui possède à la fois
Le vol puissant de l'aigle et la blancheur. du cygne.
Son vers est toujours grand, toujours pur, toujours digne ;
Il a les larges bruits de la mer et des bois.
Ni le temple des dieux ni le palais des rois
N'ont, sous le firmament, cette beauté de ligne.
Poète aérien, debout sur les sommets,
Il regarde toujours vers l'éternelle voûte ;
Il vit de l'air du temps, n'usant pas d'autres mets.
C'est une âme qui chante et que mon âme écoute ;
Et, quand à son esprit, dont quelquefois on doute,
Il en a d'autant plus qu'il n'en montre jamais.