Panard Charles-François (1689-1765)

Couplets moraux

Pour faire un repas agréable.

Faut-il couvrir toute sa table

De ces ragoûts et de ces mets

Inventés par de fins gourmets ?

Non. non ; je fais toujours grand'chère

Quand j'ai le manger nécessaire

Sur un petit couvert bien blanc.

Avec ce qu'il faut de lumière.

Un verre net et du vin franc.

 

Tenté par le gain qu'il espère,

Le nautonier, pour satisfaire

Nos appétits extravagants,

Va s'exposer aux ouragans ;

Mais ce qu'il amène en nos rades

Ne sert qu'à nous rendre malades ;

Et nous n'en serions pas plus mal

Si l'épice et l'eau des Barbades

Restaient dans leur pays natal.

 

Cependant, ô fous que nous sommes !

C'est la fureur de tous les hommes

D'entasser et de se munir

Pour les besoins de l'avenir :

Leurs corps et leurs esprits s'épuisent

Pour avoir des meubles qui nuisent,

Des trésors que l'on tient secrets,

Des habits que les vers détruisent,

Des livres qu'on ne lit jamais.


Parny Evariste de (1753-1814)

A Chloé

Selon vous mon sexe est léger ; Le vôtre nous paraît volage.

Ce procès, qu'on ne peut juger, Est renouvelé d'âgé en âge.

Vous prononcez dans ce moment ; Mais j'appelle de la sentence. Croyez-moi : c'est injustement Que l'on s'accuse d'inconstance. Il n'est point de longues amours, d'en conviens ; mais presque toujours Votre âme s'abuse elle-même. Dans sa douce crédulité, Souvent de sa propre beauté Elle embellit celui qu'elle aime. Il a tout, du moment qu'il plaît.

Grâce au désir qu'il a fait naître, Vous voyez ce qu'il devrait être, Vous ne voyez plus ce qu'il est. Oui, vous placez sur son visage Un masque façonné par vous ; Et, séduite par cette image, Vous divinisez votre ouvrage, Et vous tombez à ses genoux. Mais le temps et l'expérience, Écartant ce masque emprunté, De l'idole que l'on encense Montrent bientôt la nudité.

On se relève avec surprise ;

On doute encor de, sa méprise ; On cherche d'un œil affligé Ce qu'on aimait, ce que l'on aime ; L'illusion n'est plus la même,

Et l'on dit : « Vous avez changé. p Du reproche, suivant l'usage,

On passe au refroidissement ; Et, tandis «on parait volage. On est détrompé seulement.

Des amantes voilà l'histoire,

Chloé ; mais, vous pouvez m'en croire, C'est aussi celle des amants.

En vain votre cœur en murmure ; C'est la bonne et vieille Nature Qui fit tous ces arrangements. quand au remède, je l'ignore ; Sans doute il n'en existe aucun Car le vôtre n'en est pas un;

Ne point aimer, c'est pis encore.


Pavie Chasle Joseph (1863-1936)

Confidence

Du velours, du satin, de la soie et des fleurs,

C'est tout ce que j'ai vu dans la salle animée

Où, sur un rythme lent, une valse pâmée

Mêlait les sons, les voix, les pas et les couleurs.

 

Un autre souvenir m'accompagne sans trêve :

Un front chaste, un oeil clair, un visage adoré,

Des cheveux débordant sous le fin liséré,

Un sourire surtout, voilà ce dont je rêve.

 

Celle pour qui j'écris sommeille en ce moment.

Bientôt je vais passer devant la chambre close

Qui renferme le lit virginal où repose

L'être chéri qui fait ma joie et mon tourment.

 

Et je la bénirai, toujours aussi fidèle...

Oh ? la joie orgueilleuse ! Y penser nuit et jour,

Rougir sous son regard et pâlir tour à tour

Et n'en laisser rien voir et vivre si près d'elle !


Pavin-Saint Denis Saugin de (1595-1670)

Sonnets A une jeune personne.

Quittez cette dévote humeur ;

Ne faites pas tant la mauvaise,

Car je prétends, ne vous déplaise ,

Une place dans votre cœur.

 

A soixante ans, un directeur

Prêche les gens bien à son aise ;

Vous n'en avez que quinze ou seize ;

Trop tôt le diable vous fait peur,

 

Me défendre que je vous aime,

C'est vous faire tort à vous-même ;

Malgré vous, je vous aimerai.       

 

Rarement la jeunesse est sage.

Quand vous serez un peu sur l’âge,

Alors je vous obéirai.


Polonius Jean (pseudonyme de Xavier Labensky) (1790-1855)

Fragment : Empédocle

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Qui t'amène en ces lieux, voyageur téméraire ?

Par quel désir profane attiré sur ce bord,

Oses-tu bien sonder l'effroyable mystère

De ces gouffres de mort ?

 

Tremble ! - Ici tombe l'homme, ici meurt la nature ;

Le fier démon qui règne en ces antres secrets,

Dominateur jaloux, à toute créature

En interdit l'accès.

 

J'ai vécu, j'ai roulé la terrestre poussière !

Cette ombre qui t'échappe, un esprit l'animait ;

Cette voix qui te parle. à d'autres voix naguère

Parlait et répondait.

 

J'ai tenu le compas, j'ai fait vibrer la lyre,

Comme toi, j'ai voulu tout sentir et tout voir

Comme toi, j'ai cherché la gloire, et ce délire

Qu'on appelle savoir.

 

Heureux, si j'eusse aimé les arts et la nature,

Pour eux, non pour l'éclat d'un stérile renom

Sans vouloir y puiser une vaine pâture

Amon ambition ;

 

Si, content du plaisir de leur seule poursuite,

J'eusse cueilli les fleurs qui bordent leurs chemins,

Sans rêver d'autre but, sans chercher à leur suite

Des succès incertains !

 

Que maudit soit ce jour d'imprudence et d'ivresse,

Où ma lèvre approcha la coupe du savoir,

Où sa première goutte embrasa ma jeunesse

D'un orgueilleux espoir !

 

De ce jour, une soif inquiète, insensée,

A tourmenté mon âme, a dévoré mon sang ;

J'ai maudit ma raison, renié ma pensée,

Envié le néant.

 

Pour étancher en moi cette soif invincible,

J'aurais voulu franchir tous les temps, tous les lieux,

M'élancer loin des bords de l'univers visible,

Par delà tous les cieux.

 

J'aurais voulu m'unir à la nature entière,

Pénétrer les secrets de la terre et de l'air,

Être tout, vivre en tout, dans l'herbe, dans la pierre.

Dans le feu, dans l'éther.

 

Après avoir erré de système en système,

Changé cent fois d'étude et d'essais toujours vains,

Je voulus à l'Etna demander le problème

De ses feux souterrains.

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Pommier Victor-Louis-Amédée (1804-1877)

Le papillon espoir

L'espérance ici-bas vaut mieux qu'un bien présent ;

On regrette son rêve en le réalisant.

Seul, d'un éclat doré l'avenir se colore ;

Demain, en devenant aujourd'hui, se déflore,

On atteint le bonheur : il ôte promptement

Son masque; on reconnaît le désenchantement.

 

Voyez ce papillon aux couleurs enflammées,

Avec quatre ailes d'or, d'yeux de pourpre semées !

Être agile, éthéré, folâtre. gracieux.

Promenant en zigzags son vol capricieux,

Il va, revient, repart, monte, descend, tournoie,

Baise, en passant, les fleurs où sa trompe se noie,

Joyau vivant que Dieu, qui l'a colorié,

A de riches fleurons partout armorié.

 

Qu'un brutal, sans pitié pour des membres si frêles,

Parvienne à le pincer par ses fragiles ailes,

Le prodige est détruit. Cet insecte charmant,

Cet être, vulnérable au moindre attouchement,

Pauvre souffre-douleur qui tremble, qui tressaille,

Effaré, comprimé par l'horrible tenaille.

Palpitant sous la main qui retient son essor.

Perd, en se débattant, son carmin et son or,

Se mutile, se froisse, et bientôt il ne reste

Du sylphe aérien, si splendide et si leste,

Qui semblait voltiger eu vingt lieux à la fois,

Qu'un pastel impalpable estompé sous les doigts.