Raynaud Ernest (1864-1938)

Poètes oubliés !…

Poètes oubliés ! poètes inconnus !

Noire foule innombrables où n’atteint pas la gloire,

Ma main vous cherche ai long des quais tristes et nus,

Et vous réclame, avide, aux verrous des armoires.

 

J’en suis récompensé lorsqu’un beau vers soudain

Rencontré me salue en sonnant sa fanfare,

Et je sens tout l’orgueil de celui qui répare,

A la face des Dieux, l’injure du destin.

 

O roses que l’ennui triste a décolorées,

O lauriers languissants résignés à mourir,

Que de fois, sous ma lampe, au déclin des soirées,

Une larme de moi vous a fait refleurir !


Reboul Jean (1796-1864)

L’ange et l’enfant Elégie à une mère

Un ange au radieux visage,

Penché sur le bord d'un berceau,

Semblait contempler son image,

Comme dans ronde d'un ruisseau.

 

« Charmant enfant qui me ressemble,

«Disait-il, oh ! viens avec moi !

« Viens, nous serons heureux ensemble

« La terre est indigne de toi,

 

« Là, jamais entière allégresse :

« L'âme y souffre de ses plaisirs ;

«Les cris de joie ont leur tristesse,

« Et les voluptés leurs soupirs.

« La crainte est de toutes les fêtes ;

« Jamais un jour calme et serein

« Du choc ténébreux des tempêtes

« N'a garanti le lendemain.

 

« Eh quoi ! les chagrins, les alarmes

« Viendraient troubler ce front si pur !

« Et par l'amertume des larmes

« Se terniraient ces yeux d'azur !

 

« Non, non; dans les champs de l'espace

« Avec moi tu vas t'envoler ;

« La Providence te fait grâce

« Des jours que tu devais couler.

 

« Que personne dans ta demeure

« N'obscurcisse ses vêtements ;

« Qu'on accueille ta dernière heure

« Ainsi que tes premiers moments.

 

« Que les fronts y soient sans nuage,

« Que rien n'y révèle un tombeau ;

« Quand on est pur comme à ton âge,

« Le dernier jour est le plus beau. »

 

Et, secouant ses blanches ailes,

L'ange, à ces mots, a pris l'essor

Vers les demeures éternelles.....

Pauvre mère ! ... ton fils est mort !


Régnier Henry de (1864-1936)

Heure

C’est l’espoir !…

Comme des ailes faibles dans le crépuscule

Si loin que c'est le vent, peut-être, ou le frisson

De ta pâleur sur ta face, ô taciturne

Devant quelque Ombre en les cyprès du bois nocturne

Parmi les asphodèles graves du gazon,

Ou des pas que le vent simulé aux campanules

Des bleus treillis du vieux jardin de la raison

Où ton âme se connaît moins au crépuscule.

 

C'est l'Espoir.

 

Ecoute, il est assis au bord du fleuve

Si près de l'eau que ses ailes trempent dans l'eau

O les antiques ailes en l'eau toujours neuve

Qui fuit et mouille le plumage de nouveau

Le plumage des grandes ailes dans l'eau.

 

C'est l'Espoir

 

Mais voici l'aube et l'heure pâle

 

Où ta face est plus triste encore et taciturne

Et folle de mornes alarmes

En les mains à travers qui coulent une à une

Tes larmes …

 

Le vent efface des traces de pas nus aux sables.

 

C'était l'Espoir

Qui fut assis dans l'ombre auprès du fleuve noir !


Retté Adolphe (1863-1930)

Lumineuse, elle vint..

Lumineuse, elle vint : c’était toujours la même

Offrant avec sa bouche un bouquet de serments-

Me délaisseras-tu, princesse de bohême ;

Je suis un roi banni dont la tristesse ment.

 

En vain le bouquet frêle et frais et de printemps

Qui fleurit sur ta bouche à ma bouche vouée

Se refuse du leurre d’un rire irritant,

Tu restes la princesse et la seule priée.

 

Rêve où mon rêve succombe,

Tu ris, raillant mon destin-

Tes mains mièvres et tes seins

Ont des tiédeurs de colombes,

 

Tu mens si tu me prédis

Que tes lèvres sont menteuses

Puisque tes yeux m’ont promis

Leur douceur de nuit peureuse.


Rictus-Jehan (1867 - 1933)

La Frousse (Onze ans, six ans)

— « Hé ! tu dors pus ?... Caus’ moi, Mémaine...

Toi aussi t’ as h’entendu l’ coup ?

C’est h’encor Pepa qui rentr’ saoul :

y n’a dû claquer sa quinzaine !

 

Serr’-moi fort,... boug’ pas,... écoutons.

(Ah ! ton p’tit cœur fait du tapage !

Y saut’ comme Fifi dans sa cage

quand y voit l’ petit chat Miton.)

 

Aie pas peur,... j’ suis là,... j’ suis ta « Grande »,

tu sais ben cell’ qu’ est quasiment

comm’ qui dirait ta p’tit’ moman ?

Ben voyons, la cell’ qui t’ commande,

 

qui t’ brabouill’, qui t’habill’, qui t’ peigne,

qui t’ mouch’, qui t’ serch’ tes petits poux,

cell’ qui ramass’ pour toi les beignes,

cell’ qui t’aime à plein-cœur-d’amour !

 

Bon sang ! Quoi c’est qu’y s’ passe en bas ?

M’man est encore à sa couture....

P’pa l’appell’ : — « Putain, pourriture ! »

Vrai ! Pourvu qu’a n’y répond’ pas !

 

Quand qu’y n’est bu y d’vient méchant :

M’man dit toujours qu’all’ le plaqu’ra

mais avant, y l’estourbira,

pis nous... y nous en f’ra autant.

 

Hier,... t’as vu ? Pour sercher querelle

et tâcher d’y mette eun’ pâtée,

y n’a craché dans nos écuelles,

mais Moman a pas rouspété !

 

T’ entends ? Y va, y vient, y rogne.....

Pan ! Ça c’est nos joujoux qu’y cogne.....

(Pourvu qu’avec ses gros souïers

y n’aill’ pas les écrabouiller !)

 

Pleur’ pas, Mémain’, c’est pour de rire ;

laiss’ fair’, j’ fouill’rai dans son fann’zar ;

ça et c’ qu’y m’ rest’ dans ma tir’-lire,

j’ t’en ach’t’rai des aut’s au bazar.

 

Mais surtout qu’y grimp’ pas nous voir,

j’ai la frouss’ quand l’est dans la chambe,

y pos’ son gros cul su’ nos jambes

et y rest’ comm’ ça dans le noir....

 

Y ricane, y caus’, ses dents grincent

pis y nous chopp’, nous tât’, nous pince

et nous farfouille où faurait pas.....

Mais on peut rien dir’ : c’est Pepa !

 

On s’ gare, on s’ noue, on s’ met en boule ;

crier !... on prendrait l’ mauvais paing,

c’est du coup qu’y perdrait la boule

et nous f’rait passer l’ goût du pain !

 

Tout ça vient de c’ que près d’ l’usine

où tout’ la journaille y turbine,

d’un Sam’di à l’autre Sam’di,

y a plein d’ bistrots qui font crédit !

 

Pis M’mam aussi a pas d’ toupet,

pass’que moi, quand j’ s’rai pour m’ marier,

sûr, j’ prendrai pas un ovréier

ou c’est moi que j’ touch’rai sa paie !

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mémaine ! Ej’ crois que l’ v’là, bon Dieu !

voui voui,... enfonçons-nous au pieu ;

tais-toi,... f’sons min’ de roupiller,

n’os’ra p’t-êt’ pas nous réveiller.....

 

Patatras, boum ! Minc’ de potin !

Y bûche !... Y doit n’ête en cabosse.....

Oh ! à preusent, y a pus d’émosse,

y planqu’ra là jusqu’au matin !

 

Preusent... on peut rabattre el’ drap

on peut s’allonger à sa guise.

Bonn’ nuit, ma gross’, fais-moi eun’ bise,

 

serr’-moi ben fort dans tes p’tits bras. »