Saint-Évremond Charles de (1614-1703)

A Mademoiselle de l’Enclos

Passer quelques heures à lire,

Est mon plus doux amusement :

Je me fais un plaisir d'écrire,

Et non pas un attachement.

Je perds le goût de la satire ;

L'art de louer malignement

Cède au secret de pouvoir dire

Des vérités obligeamment.

Je vis éloigné de la France,

Sans besoin et sans abondance,

Content d'un vulgaire destin.

J’aime la vertu sans rudesse ;

J'aime le plaisir sans mollesse ;

J'aime la vie, et n'en crains pas la fin.


Samain Albert (1858-1900)

Devant la mer, un soir ...

Devant la mer, un soir, un beau soir d'Italie,
Nous rêvions... toi, câline et d'amour amollie,
Tu regardais, bercée au cœur de ton amant,
Le ciel qui s'allumait d'astres splendidement.

Les souffles qui flottaient parlaient de défaillance ;
Là-bas, d'un bal lointain, à travers le silence,
Douces comme un sanglot qu'on exhale à genoux,
Des valses d'Allemagne arrivaient jusqu'à nous.

Incliné sur ton cou, j'aspirais à pleine âme
Ta vie intense et tes secrets parfums de femme,
Et je posais, comme une extase, par instants,
Ma lèvre au ciel voilé de tes yeux palpitants !

Des arbres parfumés encensaient la terrasse,
Et la mer, comme un monstre apaisé par ta grâce,
La mer jusqu'à tes pieds allongeait son velours, 
La mer...

... Tu te taisais ; sous tes beaux cheveux lourds
Ta tête à l'abandon, lasse, s'était penchée,
Et l'indéfinissable douceur épanchée
À travers le ciel tiède et le parfum amer
De la grève noyait ton cœur d'une autre mer,

Si bien que, lentement, sur ta main pâle et chaude
Une larme tomba de tes yeux d'émeraude.
Pauvre, comme une enfant tu te mis à pleurer,
Souffrante de n'avoir nul mot à proférer.

Or, dans le même instant, à travers les espaces
Les étoiles tombaient, on eût dit, comme lasses,
Et je sentis mon cœur, tout mon cœur fondre en moi
Devant le ciel mourant qui pleurait comme toi...

C'était devant la mer, un beau soir d'Italie,
Un soir de volupté suprême, où tout s'oublie,
Ô Ange de faiblesse et de mélancolie.


Scarron Paul (1610-1660)

Sonnet Superbesmonuments de l'orgueil des humains

Superbes monuments de l'orgueil des humains, 
Pyramides, tombeaux dont la vaine structure 
A témoigné que l'art, par l'adresse des mains 
Et l'assidu travail, peut vaincre la nature :

Vieux palais ruinés, chefs-d’œuvre des Romains
Et les derniers efforts de leur architecture,
Colisée, où souvent ces peuples inhumains
De s'entr'assassiner se donnaient tablature :

Par l'injure des ans vous êtes abolis, 
Ou du moins, la plupart, vous êtes démolis ;
Il n'est point de ciment que le temps ne dissoudre.

Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir, 
Dois-je trouver mauvais qu'un méchant pourpoint noir, 
Qui m'a duré deux ans, soit percé par le coude ?


Scève Maurice (1501-1564)

L'oisiveté des délicates plumes

L'oisiveté des délicates plumes, 
Lit coutumier, non point de mon repos, 
Mais du travail, où mon feu tu allumes, 
Souventes fois, oultre heure, et sans propos 
Entre ses draps me retient indispos, 
Tant elle m'a pour son faible ennemi.

Là mon esprit son corps laisse endormi 
Tout transformé en image de Mort, 
Pour te montrer, que lors homme à demi, 
Vers toi suis vif, et vers moi je suis mort.


Ségalas Anaïs Mme (1814-1895)

Les cinq sens

Regarde, mon enfant, ma frêle pâquerette,

La nuit qui luit, chante, embaume, te jette

Rayons, fleurs, rossignols, et n'est qu'enchantement ;

C'est qu'elle est joyeuse, je gage,

D'avoir en toi fait un ouvrage

Si délicat et si charmant.

 

La lumière le dit : «Je suis le jour splendide ;

Dieu me fit pour tes yeux ; je suis l'aube timide

Qui te ressemble :en nous rien ne peut éblouir,

Car nous sommes deux étincelles ;

Mais à nous voir déjà si belles,

On sent que le jour va venir.

 

« Oui, mon ange, je suis cette aurore vermeille

Qui frappe à tes rideaux, et le dit : «Qu'on s'éveille ! »

Je suis ce beau soleil qui brille triomphant ;

Je suis les étoiles, la lune,

Qui te disent quand vient la brune :

« Il faut dormir, petit enfant. »

 

L'oiseau dit : «Moi, je suis la chanson, la fauvette,

Pour ton oreille, Dieu fit ma voix pure et nette.

Moi, je suis l'alouette, à l'aurore on m'entend :

Pour que les jours que Dieu t'envoie

Te semblent venir pleins de joie,

Je te les annonce en chantant.

 

«  Je suis le blond serin qui parle son ramage ;

La lyre des foyers, et l'hôte de la cage.

Les maisons m'ont toujours dans quelques petits coins,

Afin que l'homme en sa demeure,

Où souvent, hélas ! sa voix pleure,

Ait une voix qui chante au moins, »

 

La fleur te dit : «Je suis le parfum, viens, respire,

Dieu, pour ton odorat, m'emplit d'ambre et de myrrhe ?»

Je suis la giroflée eau bâton d'or ; l'œillet

Qui se panache et se satine ;

Le muguet, perle blanche et fine,

Qu'on trouve en mai dans la forêt.

» Dieu, comme vous, enfants, me fit riante et belle :

Il me fit ma corolle en velours, en dentelle ;

II vous fit des teints frais, des contours ravissants :

Et puis, les deux œuvres écloses,

II donna le parfum aux roses,

Il donna la grâce aux enfants

 

» Retiens longtemps mon charme et mon humeur frivole,)

Faisons notre bonheur d'un papillon qui vole.

Mais surtout, bel enfant, qui descends du ciel bleu,

Gardons, toi, dans ton âme aimante,

Moi, dans ma corolle odorante,

Un peu d'encens pour le bon Dieu.«

Et le vent du printemps dit : «Je suis la caresse ;

Dieu m'a fait pour ton front. Je touche avec mollesse

Ton visage et les lis, et j'aime à m'y poser.

Sur ta peau de satin, plus fraîche

Que l'églantine, que la pêche,

Je glisse aussi doux qu'un baiser.»

Le fruit te dit : «Je suis le goût, je suis l'orange ;

Dieu m'a fait pour ta bouche II pense à tout, mon ange ;

Pour vous, ô nouveaux nés, il met, bien des grands mois,

Du lait dans le sein de la mère ;

Et pour l'enfant qui court sur terre,

Il met des fraises dans les bois.»

Tout cela, c'est la vie, enfant, qui vient de naître,

Ce n'est pas le bonheur. Si tu veux le connaître,

Ton père et moi, tous deux baisant ta joue en fleur,

Nous te dirons : «O ma charmante,

Nous sommes l'amitié constante,

Et Dieu nous a faits pour ton cœur. »


Segalen Victor (1878-1919)

Sur un hôte douteux

Ses disciples chantent : Il revient le Sauveur des hommes : Il

vêt un autre habit de chair. L'étoile, tombée du plus haut ciel a fécondé la Vierge choisie. Et il va renaître parmi nous.

 

Temps bénis où la douleur recule ! Temps de gloire où la

Roue de la Loi courant sur l'Empire conquis va traîner tous les êtres hors du monde illusoire.

 

L'Empereur dit : Qu'il revienne, et je le recevrai, et je

l'accueillerai comme un hôte.

 

Comme un hôte petit, qu'on gratifie d'une petite audience, –

pour la coutume, – et d'un repas et d'un habit et d'une perruque afin d'orner sa tête rase.

 

Comme un hôte douteux que l'on surveille ; que l'on

reconduit bien vite là d'où il vient, pour qu'il ne soudoie

personne.

 

Car l'Empire, qui est le monde sous le Ciel, n'est pas fait

d'illusoire : le bonheur est le prix, seul, du bon gouvernement.

 

Que fut-il, celui qu'on annonce, le Bouddha, le Seigneur Fô ?

Pas même un lettré poli,

 

Mais un barbare qui connut mal ses devoirs de sujet et devint

le plus mauvais des fils.


Surville Cloitilde de

Prétendue poétesse française du XV siècle. Ses œuvres publiées en 1803 et en 1829, d'un caractère évidement apocryphe. Ont été forgées par un de ses descendants, le marquis Joseph-Etienne de Surville. Gentilhomme français né dans le Vivarais en 1755 et fusillé au Puy comme émissaire des princes émigrés, en 1798.
Publier par M de Rougoux et Ch Nodier Paris Nepveu, librairie-éditeur 1827
 
Ballade aux zéphyrs
A ce de les inciter à rafraischir le layn du bel amy , tache surtout qu'ay
de bayzers bruslée.
  1421
Jeunes zéphyrs, non ceulx là que seyz pleurs,
Chasque matin, veoit agiter l'aurore ;
Vous qui, bénins, quand Phoebus les dévore,
Par vos bayzers, rasserenez leyz fleurs :
Pour ugne, icy ; demande vos faveurs,
Comme n'en pompe abeille, hors de la rousche ;
N'y treuverez, se peult, mesmes doulceurs
Ainz, sachiez donc qu'à nos yeulx abuseurs,
Beau n'est seul beau, voire est beau ça qui tousche.
 
Cestuy, voyrez, qu'ugnit aux traicts vainqueurs
Du vain Pâris et des fils de Pandore,
Tous leyz présents. de Vénus et de Flore ;
Soubz ugne joue, aux contours énchanteurs,
 
 
Préface :
Les poésies de Clotilde de Surville, née de Vallon et Chalys, ont obtenu le plus éclatant succès parmi les gens de goût. Elles ont mérité un succès plus certain encore et aussi durable, parmi les âmes tendres qui se laissent entraîner au charme d'un sentirent toujours affectueux et touchant, exprimé  en vers souvent sublimes et brillants de poésie. La réputation de Clotilde est écrite en caractères de feu dans le cœur de toutes les Jeunes mères qui ont lu, ou plutôt qui ont retrouvé ce qu'elles avaient déjà ressenti, dans les « verselets à mon premier né. » Tous les hommes qui aiment les belles pensées noblement exprimées, lui rendent la même Justice : et, sans la controverse qui s'est élevée sur la réalité de l'existence de Clotilde, et l'époque de la création de ses poésies, si étrangères de savoir, de rythme et d'harmonie, au temps où elle a vécu, cette réputation traverserait les siècles, égale à la renommée de nos plus grands poètes, appuyée sur une élégance continue, un talent, et une prévision qui ont devancé les âges, et des formes poétiques qui auraient servi de modèles à tout ce qui lui a succédé. La destinée des poésies de cette femme célèbre est vraiment extraordinaire. Née, disent les notes dont nous donnons connaissance au public, en 1400, et selon M. de Vanderbourg, ingénieux éditeur, et commentateur du premier recueil, en 1405 , elle vit les règnes de Charles Vl, de Charles VII, de Louis XI, de Charles VIII, et mourut, Sous Louis XII, plus que centenaire.

Les mémoires du temps n'en font aucune mention ; et  cependant elle fut connue et appréciée de plusieurs rois de France, d'unie nombreuse classe de femmes poètes, qui semblaient reconnaître son étendard, et de la reine Marguerite d'Ecosse, épouse de Louis XI, moins célèbre par le baiser dont elle gratifia Alain-Chantier, que par le soin qu'elle prit d'attirer, à sa cour tous les talents remarquables de cette époque. Quelques unes des poésies que Clotilde lui adressa ont été imprimées dans le premier recueil ; mais Clotilde refusa toujours de se fixer auprès d'elle.
Les premiers morceaux de Clotilde que l'on ait publiés, ont paru en 1797 dans un journal de Lausanne, alors rédigé par Mme de Polier ; et, en 1802, une feuille périodique, nommée la Décade philosophique, fit connaître à Paris ses chants d'amour, au printemps, en été, en automne et en hiver. A cette apparition, tout ce qui aime les beaux vers jeta des cris d'admiration c'est le mot ; et ces vers charmants le méritaient. Un an ou deux après, M. de Vanderbourg publia le recueil qui, depuis, a été si recherché ; et il y joignit une vie de Clotilde , ou du moins quelques détails sur sa vie, avec un commentaire dont les gens de lettres, comme les admirateurs de Clotilde, lui ont su un gré infini. Ce recueil d'une partie des poésies de Clotilde, frappa l'opinion plus encore que les morceaux qui avaient préparé les esprits a l'apparition de ce phénomène. De ce moment, la réputation de l'auteur, quel qu'il fût, se trouva classée et devint immuable. Une élégance soutenue, le charme d'une naïveté qui prend sa source dans la simplicité de la pensée, comme dans les formes, heureuses du dialecte qui la reproduit ; de brillantes images dont le choix est toujours de bon goût, une élévation de caractère qui ne le cède qu'à la plus profonde sensibilité, tout concourut à placer Clôtilde au rang, des premiers poètes français, au premier rang des femmes qui ont revêtu les inspirations de leur âme des couleurs de la poésie. Nul ne contestale talent de l'auteur ; mais on éleva des doutes nombreux sur l'existence réelle de Clotilde, et le bruit s'accrédita promptement que ces poésies étaient supposées. Nous  ne rentrerons pas ici dans la dissertation de M. de Vanderbourg, remarquable par beaucoup de goût et de sagacité. Il ne pouvait représenter, les manuscrits originaux. Il ne se dissimulait pas les objections qu'on allait lui faire : il les posa lui-même, et, les aborda franchement.
 
La principale concernait le rythme, et la correction même de ces poésies. Il démontra qu'il existait de nombreux exemples de l'usage de ces rythmes élégants, antérieurement à Clotilde ; qu'elle n'avait eu que le mérite de s'en servir constamment, de s'en faire une règle indispensable ; et qu'on ne pouvait arguer contre elle de l'oubli où les auraient laissés des poètes médiocres, venus quelques années après. La seconde difficulté provenait du savoir même de Clotilde ; et l'on mettait en doute la possibilité de l'avoir acquis à cette époque. M, de Vanderbourg, sans se dissimuler la force de l'objection, s'en référa aux fragments qui nous restent des mémoires de Clotilde ; il prouva, par eux, que l'éducation de cette femme célèbre avait été aussi, extraordinaire que son talent, et qu'indépendamment de ses relations avec les premiers littérateurs de l'Italie ; elle avait eu à sa disposition tous les manuscrits grecs et latins de la belle bibliothèque de Gaston Phoebus. Il ajouta que les mémoires de Clotilde faisaient mention, dans le plus grand détail ; d'une école de femmes poètes qui, depuis Héloïse, avaient entretenu le feu sacré, éteint parmi les hommes les plus renommés de cette époque ; que Clotilde avait conservé, des fragments nombreux écrits par chacune d'elles, et que ces morceaux offraient tous la même régularité rythmique, bien qu'ils différassent  entre eux par le genre, et de plus ou le moins de perfection du langage.
Cela, ne suffisait pas, sans doute. Il fallut donc en revenir aux travaux d'une descendante de Clotilde, par alliance, Jeanne de Vallon, qui, au milieu du 17e siècle, se serait occupée de revoir les manuscrits de son aïeule, dont elle voulait procurer au public la précieuse jouissance ; et, après-elle, à ceux de M . Joseph-Etienne de Surville, descendant direct de Clotilde, et l'une des victimes de la révolution. Le coup affreux qui le priva de la vie en 1798,a plongé dans la même tombe ses secrets sur Clotilde, et détruit tout l'espoir de les connaître un jour. M de Surville ; qui continuAit avec une patience infatigable, les recherches et les corrections commencées par son aïeule ; avait formé le projet de publier en totalité les poésies et les mémoires Clotilde. Il y songeait encore au moment suprême. On n'a pu retrouver le dépositaire de ses manuscrits. Il n'en reste, que des fragments et des titres d'ouvrages.
 
Mais le sujet même, de la plupart de ces poésies ; les allusions personnelles, tout, à fait étrangères à notre siècle, que l'on y retrouve si souvent, et qui se produisent comme si elles étaient l'expression d'un sentiment inspiré par une circonstance du moment, les anecdotes sans intérêt aujourd'hui, relative à des événements de cette époque, une foule de mots, de phrases, d'observations toutes naturelles qui tiennent aux occupations et aux moteurs d'un autre temps, tout porte avec soi un caractère remarquable d'authenticité, et, en admettant les corrections de Jeanne de Vallon et de M. de Surville, il restera peu de doutes sur la source dont ces poésies tirent leur origine. Toutefois, en arrivant après M. de Vanderbourg, dont le beau travail sur M. de Surville et les poésies de son aïeule eût été sans doute plus complet, s'il eût connu les manuscrits où nous avons puisé, nous sommes forcés d'avouer que, si l'on ne veut admettre comme documents authentiques d'autres pièces que les originaux mêmes écrits par Clotilde, il nous est impossible, comme à lui, de satisfaire l'exigence du public. En vain appellerions-nous en témoignage la spirituelle Mme de Polier, qui rédigeait, en 1798, le Journal de Lausanne, et qui imprimait des fragments de Clotilde sur les originaux eux-mêmes ; en vain supplierions-nous les amis de M. de Surville qui existent encore, de rompre le silence ; en vain pourrions nous attester, toute la sagacité de l'estimable et savant M. Weiss, bibliothécaire de Besançon, qui eut jadis connaissance de ces manuscrits, et, en citant, ce nom honorable, nous croyons parler à toute l'Europe le sort des oeuvres de Clotilde, est de se trouver environnées de mystère. Les témoignages, les opinions, les souvenirs de l'amitié, ne vaudraient pas la moindre feuille originale ;et, à l'exception des manuscrits de M. de Surville, copiés. par lui sur ceux de son aïeule, avec tout fart du calligraphe, nous sommes réduits, comme les lecteurs, à chercher des preuves de l'existence de Clotilde dans les singuliers mémoires dont nous n'avons que des fragments. Un hasard, qu'il serait trop long, de raconter, nous en avait, l'un et l'autre, rendus possesseurs, avant même la première publication de M. de Vanderbourg. Nous nous aimions alors. Plus de vingt années, et toutes les vicissitudes humaines, semblaient nous avoir séparés pour toujours, lorsque nous nous sommes retrouvés, tous, deux occupés de Clotilde ; et si la lecture des beaux vers de Mme de Surville nous avait jadis attirés l'un vers l'autre, nous devons à leur publication, la certitude qu'il est des cœurs où l'amitié ne s'éteint jamais. Clotilde s'était occupée d'un poème de la Phélyppéïde ; Philippe-Auguste en était le héros. La bataille. de Bouvines en formait le dénouement. Le sujet, du moins nous le pensons, était la restauration du jeune Arthur, duc de Bretagne, neveu de Richard Coeur-de-Lion, désigné pour lui succéder au trône d'Angleterre, et si lâchement assassiné par l'infâme Jean-Sans-Terre,

ou Lackland. Les machines de ce poème étaient immenses. M. de Vanderbourg a publié qu'il n'en restait pas le moindre fragment ; nous sommes assez heureux pour en offrir un chant presque entier à nos lecteurs. Ce chant, brillant de poésie et d'imagination, est consacré à décrire la destruction de l'Atlantide. La race de Mérovée régnait, suivant Clotilde, sur cette douteuse partie du monde ; Lygdamir, l'héritier du trône des Atlantes, après avoir chassé un usurpateur de la Pologne, mais s'être laissé vaincre par les charmes de sa fille revient, comblé de gloire et tourmenté d'un amour sans espoir, près de son père. L'antique auteur de sa race lui apparaît, et lui annonce les désastres qui se préparent ; le héros se réveille à la lueur des flammes surnaturelles qui dévorent sa patrie ; un char miraculeux le soustrait au danger et le transporte près de Philippe-Auguste, auquel il sauve la vie dans un combat. C'est alors que Lygdamir lui fait le récit des désastres de l'Atlantide, récit plein d'énergie et de vers touchants. Nous voulions citer ici la réponse noble et généreuse de Philippe-Auguste au prince infortuné, et nous ne résistons qu'avec peine au plaisir de la détacher du morceau dont elle. fait un des principaux ornements ; mais nous devons en laisser au lecteur toute la fraîcheur et la nouveauté.
Si l'on en croit M. de Surville, dans le peu de notes qu'il nous a laissées, son aïeule s'occupait encore , à l'âge de quatre-vingt-dix ans, à corriger un poème de la nature, dont, selon M. de Vanderbourg, il ne restait plus rien. Ce poème, qui parait avoir été terminé, était intitulé : de la Nature et de L'Univers. Certes, l'idée était grande et belle., mais si grande et si vaste, que c'est là précisément que les doutes sur l'authenticité des poésies de Clotilde et sur leur date, se reproduisent dans toute leur force. On peut aujourd'hui fixer son opinion à cet égard, puisque nous publions également un chant complet de ce poème de la Nature et de l'Univers. La singulière imagination ; nous dirions presque la bizarrerie, des idées qui dominent dans cet étonnant ouvrage, serait une preuve irrécusable de leur date antique, si quelques vers, que nous trouvons d'ailleurs fort beaux, et qui seront appréciés de tous les lecteurs, jetés comme par hasard dans une série de suppositions, qui peuvent appartenir à tous les âges, ne venaient, accuser une origine plus moderne. Il est inutile de les citer, ici ; nous avons fait connaître notre opinion à cet égard dans quelques ouvrages qui n'admettaient rien de douteux, et depuis longtemps imprimés. Mais, en faisant la part de ces vers, qui ne se trouvent d'ailleurs que dans l'introduction de ce chant, et que, sans nuire au reste, on pourrait attribuer à Jeanne de Vallon, ou même à M. de Surville, qui pourrait, en le lisant, douter que la plus grande partie de ce chant extraordinaire ait été écrit dans le quinzième siècle ?
 Ce sont les idées du temps, reproduites sous des formes plus régulières, sans doute, que la plupart de celles que les auteurs qui nous restent ont affectées dans leurs vers ; mais où est l'impossible ? Il existait certainement alors, des auteurs très spirituels, des imaginations très vives.
Si les facultés de l'homme se sont développées par l'accroissement de la science, s'ils ont cueilli les fruits de la raison dans le vaste champ des découvertes, n'avaient-ils pas alors la jouissance de ces mêmes facultés, le germe des idées devenues si communes ?Mais elles naissaient et mouraient inaperçues : il était presque impossible de se faire remarquer : les provinces, dans leurs nombreuses divisions, n'avaient aucune communication, aucune relation entre elles : les mœurs, les dialectes, les lois, en différaient étrangement.
Les rapports sociaux de château à château ; et, à plus forte raison, de ville à château, se bornaient à certaines . époque si de l'année ; et les fêtes qui en réunissaient les habitants, ne laissaient dans les esprits que des souvenirs bientôt évanouis.
 
L'imprimerie, dans son enfance, ne multipliait encore que les saintes écritures. Toutefois, les livres des anciens, qui ont tant facilité l'essor des sciences modernes, qui ont nourri la littérature française jusqu'au moment où elle a osé s'élancer d'elle-même, ces livres étoffent découverts ; l'Italie  en jouissait ; quelques villes de France en possédaient  des copies. Le palais d'Orthès, celui de Gaston Phoebus, les réunissaient tous, quand ils manquaient même  à la bibliothèque des rois de France Les Mémoires de Clotilde fournissaient la preuve que ces trésors avaient été à sa disposition, qu'elle en avait fait  son étude favorite ; et l'on sait qu'elle possédait le grec et le latin comme la langue de son pays. Les, mêmes Mémoires racontaient ses liaisons avec les auteurs les plus célèbres de l'Italie, avec les femmes les plus spirituelles de ce beau pays. Puisse un heureux hasard, semblable à celui qui nous permet de publier aujourd'hui une partie nouvelle des chefs-d’œuvre de Clotilde., nous rendre ces intéressants Mémoires, et nous donner des notions plus certaines. sur son existence. M. de Surville, afin d'apporter toutes les preuves en sa puissance, de l'authenticité des oeuvres de son aïeule,  avoir recueilli de ses Mémoires de nombreux morceaux de poésie, attribués à une école de femmes célèbres de cette époque, ou même antérieures à Clotilde ; et tous  les vers qu'il se proposait d'en publier; avaient pour but de prouver que les formes régulières, affectées dans ses  vers par cette femme spirituelle, étaient connues avant  elle. C'était sans doute arracher un beau fleuron de sa couronne ; mais la nécessité de convaincre les incrédules, lui imposait l'obligation de sacrifier, en ce point, une partie ; quelque brillante qu'elle fût, de la gloire de son aïeule. La plupart des morceaux que  M. de Vanderbourg en a publiés sont charmants ; tous n'ont pas été mis au jour . Il parait que le recueil était volumineux ;et plus on admire ce qui a échappé à la destruction, plus on doit regretter ce qui s'est perdu. Nous offrons au public quelques-unes de ces poésies inédites de Béatrix de Savoie, comtesse de Provence, de Doëte de Troyes, de Marie de France, de Flore de Rose, l'une des jeunes élèves de Barbe de Verrue : elle en avait trois, Rose de Créquy, Rose d'Estrées, Flore de Rose, qu'elle nommait ses trois Roses. Sans Clotilde, nous ne connaitrions pas ce trio charmant. Un des morceaux de Barbe de Verrue, que nous publions, est cité par M. de Vanderbourg ; mais il n'en avait vu que les deux premiers vers :
 
L'aigle, ez hault cieux, oït doulce colombe,
Cy bas, en paix, rouccoulant seyz amours .....
 
Nos lecteurs jugeront du reste, ou du moins de ce qui reste, car le temps n'en a épargné que deux couplets. La réputation de Clotilde est devenue populaire ; mais elle règne surtout dans le coeur des femmes. C'est à elles encore que nous offrons, que nous recommandons  ce nouveau recueil C'est à elles à défendre la gloire du sexe contre toute la science orgueilleuse des hommes. Il n'est pas vrai que l'on fasse du sentiment  avec de l'esprit ; et si l'esprit le plus vif brille dans les poésies de Clotilde, il n'y parais que comme accessoire du sentiment. Un homme qui eût enfanté des vers aussi touchants se serait bien gardé de s'en dérober le mérite. Il est si rare d'unir à l'éclat du talent  tout le charme de la sensibilité la plus naturelle ! Ces deux moyens réunis ont trop de succès dans le monde pour en faire le sacrifice absolu, et bien inutile, à un être ignoré. On peut s'amuser d'une courte déception et la défendre quelques moments : la douteuse mademoiselle Malcrais de la Vigne se fit encenser par beaucoup de gens d'esprit, et se moqua même de Voltaire ; mais où sait que la barbe du rimeur, qui se cachait  sous une délicate enveloppe, ne tarda pas à percer lemasque heureux qu'il avait choisi, et que l'amour-propre du colosse écrasa bientôt, sous des traits dont on ne se relève jamais, la vanité de l'auteur campagnard.
 
De l'hélicon ce triste hermaphrodite
Passa pour femme, et ce fut son seul art  :
Dés qu'il fut homme, il perdit son mérite.
 
Clotilde est toujours femme : ses querelles même avec  Alain Chartier, dont-on retrouvera des réminiscences dans le poème de la Nature et de l'Univers, querelles qui, par leur nature et leur forme, prouvent en faveur de l'antiquité de ces poésies, démontrent aussi que c'est une femme qui écrit, qui n'oublie point les droits de son sexe ; et, parmi, les plus hautes spéculations poétiques de l'astronomie, ne perd pas l'occasion de lancer un trait piquant, à son maladroit adversaire. Aux corrections près, dont nous ferons honneur à M. de Surville, ces jolies poésies né peuvent être attribuées qu'à une femme, mais une femme brillante de grâce, de naïveté, de tendresse, d'esprit et de raison. Elle n'a point eu de rivale jusqu'à nos jours ; les vers de Mme Deshoulières, de Mme du Bocage, de Mme de Bourdicde Mme Dufrénoy, que les muses pleurent encore, cèdent en tous points la palme à c'eux de Clotilde.Nous n'en dirons pas autant des productions de la spirituelle et gracieuse Mme Amable Tastu, qui n'a point d'égale, de la touchante Mme Desbordes Valmore, de la poétique Mlle Delphine Gay, que Clotilde eût adjointes au triple trion des filles de mémoire. Elles se sont élevées à une hauteur où Clotilde est digne de les accompagner. Elles ont, comme nous, admiré les vers enchanteurs de cette trouveresse. Nous mettons ces nouvelles découvertes sous leur protection : il leur appartient  de persuader à tous les hommes de goût que les femmes ont créé la poésie française.