Tailhade Laurent (1854-1919)

Il a collaboré :
à Lutéce 1833 ; a la revue Idépendante, 1er série, 1884 ; au décadent, 1886 ;
au Palaisson (Toulouse et Bigoree), dont il était l'unique rédacteur, 1886-1887 ;
au Scapin, 1886 ; à la Pléïade, 2éme série,
1889 ; au Mercure de France, sous un nom et sous le pseudonyme de Dom
Junipérien; à l'Effort (Toulouse),
1896 ; à Mineroe, à la revue Blanche ;
à l'Ermitage, à la revue Rouge, ect...
 
Pour les journaux :
Au Voltaire ; à l'Echo de Paris, sous le speudonyme de Tybait 
au Journal, sous le speudonyme de Renzo ;
à la Renaissance ; au Libertaire ; au journal du Peuple ;
à l'Aurore ; aux Droits de L'homme ; à la Petite République.
 
Et en province :
à la Petite Gazette et  à l'Avenir des hautes-Pyrénées (Bagnères-de-Bigorre) ;
à la Gazette des Etranger  (Pau) ; la Dépéche ; à l'Art Méridionnal (Toulouse).
  
Carte postale timbrée de Marseille.
23 Février 1909.
Scheffer qui n'est point laudatif
Et qui, de l'aube au crépuscule
Fait sortir de sa vésicule
Biliaire, un fiel corrosif,
 
Ma concierge qui, sans motif,
Sur le locataire éjacule,
Et nos Del Sarre ridicules
Approuveraient ce château d'If.
 
Car, au mitan de la mer bleue,
On l'aperçoit de quelques lieues
Parmi les flammes et les mâts ;
Car- les c. .. (1) dont l'esprit s'obture
Y causent de « littérature »
Sur les propos de feu Dumas.
 
(1) Je ne sais si je me fais suffisamment comprendre.

Tarkovski Arséni (1907-1989)

Le solitaire

L’herbe a envahi la cour,

Folle, sauvage, festonnée,

L’herbe des fossés,

Cela sent la menthe et la morelle,

Elle étend ses bras

Tissés de soie verte.

 

Dans la cour l’herbe n’est pas fauchée

Depuis l’enterrement on ne reçoit personne

Et le solitaire est seul dans l’isba

Sous le croisillon de la fenêtre,

Couvert de toiles d’araignée,

Il dort, un cigare aux lèvres,

 

Il voit en rêve l’oiseau de paradis,

La faute qu’il a commise,

Devant Dieu et devant sa femme,

L’oreiller qu’on n’a pas secoué,

La bouteille intacte

Et ce foulard coloré.


Tastu Amable (1798-1885)

L’odalisque Imitation de Thomas Moore

Aux bords du Bendemir est un berceau de roses

Que jusqu'au dernier jour on me verra chérir ;

Le chant du rossignol, dans ses fleurs demi-closes, 

Charme les flots du Bendemir.

 

J'aimais à m'y bercer d'un songe fantastique ;

M'enivrant de parfums, de repos, d'avenir,

J’écoutais tour à tour l'oiseau mélancolique

Et les ondes du Bendemir.

 

Maintenant, loin des lieux où fleurit mon aurore,

Je dis : Voit-on encor la rose s'embellir,

Et le chantre des nuits soupire-t-il encore

Sur les rives du Bendemir ?

 

Non, le printemps n'est plus, la rose s'est flétrie ;

Le triste rossignol de douleur va mourir,

Et je ne verrai plus couler dans ma patrie

Les flots d'azur du Bendemir.

 

Mais il nous reste au moins, quand la rose est passée,

Un parfum précieux que l'art sait obtenir,

Pareil au souvenir qui rend â ma pensée

Les bords riants du Bendemir.


Theuriet Claude Adhémar André (1833-1907)

La brodeuse

La matinée est froide, octobre va finir.

La brodeuse, là-haut, travaille à sa croisée,

D'où l'on voit scintiller les toits blancs de rosée,

Et les bois des coteaux à l'horizon jaunir.

 

Elle n'a pas trente ans encor ; mais la jeunesse

Que ne dorent l'amour ni la maternité,

Demeure sans parfum, sans duvet velouté,

Comme un fruit que jamais le soleil ne caresse.

 

Son front pille est plissé, ses yeux se sont flétris

A veiller aux lueurs d'une lampe malsaine ;

Sa taille s'est voûtée, et sa robe de laine

Flotte autour de son sein aux contours amaigris.

 

Hier pour achever ce lot de broderies,

Elle a passé la nuit, ses doigts sont engourdis ;

Et ce matin voici que le fin plumetis

Déroule sa guirlande aux torsades fleuries...

 

Elle est lasse et malade . Un âpre accès de toux

L'épuise... Elle interrompt ce travail qui la tue,

Et ses grands yeux souffrants errent dans l'étendue.

- Le soleil luit plus clair et le vent est plus doux.

 

Lentement, mollement, dans l'air qui les balance,

De longs fils argentés, plus fins que des cheveux,

Montent, montent, légers, ondoyants, vaporeux ;

Avec leurs écheveaux le vent joue en silence.

 

Ils passent. Quelques-uns attachent aux rameaux

Leurs transparents tissus, flottantes broderies ;

D'autres vont se mêler aux herses des prairies :

Tout leur est un appui : chaumes, buissons, ormeaux.

 

Un insecte, une plie et mignonne araignée

Ourdit ces fils soyeux à l'heure des amours ;

Puis, comme une épousée aux gracieux atours,

Elle part, suspendue à ce char d'hyménée.

 

Elle vole au-devant de l'époux désiré...

Le voici ! - Brins de jonc, tendres pousses des frênes,

Prêtez-leur un asile, et vous, tièdes haleines,

Bercez dans un rayon le couple enamouré !

 

L'amour !... Et toi, brodeuse, es-tu donc condamnée

A ne jamais trouver l'amoureux idéal ?

Ne broderas-tu pas ton voile nuptial,

O pâle et chaste sœur de la grise araignée ?...

 

Qui l'aimerait ? - Son cœur repousse fièrement

Ces vénales amours, fausses comme l'ivraie,

Qui laissent le dégoût à l'homme qui les paie

Et souillent à jamais la femme qui les vend.

 

Qui l'aimerait ? - Un pauvre et rude mercenaire ?

Mais l'amour prend du temps, et chaque instant perdu

Coûte un morceau de pain ; l'amour est défendu

A qui matin et soir lutte avec la misère.

 

Non, elle traînera ses jours laborieux

Dans son réduit glacé, sans enfant, sans caresse,

jusqu'à l'heure où, tombant sous son faix de détresse,

Aux clartés de ce monde elle clora ses yeux.

 

Là-bas, où le gazon sur les tombes récentes

Se gonfle, son corps las ira se reposer,

Et les fils de la Vierge accourront s'enlacer

Sur sa fosse, parmi les herbes jaunissantes.


Thomas Antoine Léonard (1732-1785)

Parallèle

Sa prudence, sortant de la route commune.

Par l'excès de l'audace, enchaînait la fortune.

Pour guider des Français le ciel l'avait formé ;

Mais, ce feu dévorant dont il fut animé,

Fit ses égarements, ainsi que son génie;

Il ne put d'un affront porter l'ignominie :

Maître de la victoire, et non maître de soi,

Pour punir un Ministre. il combattit son Roi !

Un remords lui rendit sa patrie et sa gloire.

 

 Turenne, ainsi que lui, formé par la victoire,

Habile. tout prévoir, comme il tout réparer,

Différant le succès pour le mieux assurer,

Couvrant tous ses desseins d’un voile impénétrable,

Ou vainqueur, ou vaincu, fut toujours redoutable.

Tantôt avec ardeur précipitant ses pas,

Tantôt victorieux, sans livrer de combats,

De vingt peuples ligués spectateur immobile,

Son génie enchaînait leur valeur inutile.

Bourbon dut son succès à son activité :

L'ennemi de Turenne a souvent redouté

Sa lenteur menaçante et son repos terrible.


Tourgueniev Sergueïevitch Ivan (1879-1882)

Arrête !

Arrête-toi ! Je veux te conserver à tout jamais telle que tu m'apparais à l'heure présente !

 

Le dernier son de l'inspiration s'est tu sur tes lèvres entrouvertes.

Tes yeux ne brillent plus, ne lancent plus d'éclairs.

Ils se ternissent, alourdis de bonheur, conscients d'avoir exprimé la beauté, cette beauté que poursuivent tes bras tendus, triomphants et las !

 

Quelle est cette lumière — plus pure que l'éclat du soleil —

qui se répand sur tout ton corps et sur les moindres plis de tes

draperies ?

 

Quel est ce Dieu de qui le souffle amoureux rejette en arrière

ton opulente chevelure ?

 

Son baiser brûle sur ton front, pur et blanc comme le marbre 

 

L'énigme est dévoilée !… Mystère de la poésie, de la vie, de

l'amour !… C'est cela l'immortalité !… Il n'y en a point, il n'en faut point d'autre !… Tu es immortelle en cet instant.

 

Mais il passe, et tu redeviens une pincée de cendre, une

femme, une enfant… Que t'importe ! — Tout à l'heure, tu étais plus grande que tout ce qui passe. — Et ton heure ne finira jamais.

 

Arrête-toi ! Et permets-moi de communier à ton immorta-

lité, laisse choir dans mon âme un reflet de ta vie

éternelle !

Novembre 1879.